«Al Maktoum» était, aux yeux des disciples, doublement prédestiné à dirigé sa communauté. D’abord, fils de Serigne Babacar Sy, premier khalife d’El Hadj Malick Sy, l’héritier spirituel de Cheikh Omar Foutiyou Tall, le vulgarisateur de l’Islam en Afrique de l’ouest. Ensuite, homonyme de Cheikh Ahmad at Tijane, fondateur de la Tijanya. «Al Maktoum», le surdoué Déjà, très jeune, «Serigne Cheikh», s’illustre à l’école coranique par la facilité avec laquelle il maîtrise les versets du saint coran. Ses dons lui permettent, à seulement 14 ans, de terminer le cycle inférieur et moyen des études islamiques, passage obligé de tous fils de Cheikhs au Sénégal.
«Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », disait Pierre Corneille. Et le «Marabout intellectuel», comme l’appelaient avec admiration, les initiés, confirmait bien cette assertion. A 16 ans, il sort «Les vices des marabouts», son premier livre qui sera suivi de «l’inconnu de la nation sénégalaise», un ouvrage dans lequel il présente dans toute sa dimension, El hadj Malick Sy son grand-père. Le défunt khalife était aussi un homme très ouvert à son monde.
A trente ans, après un premier séjour à Paris, où il est resté quelques années, lui permit d’être en contact avec le monde occidental et, par la suite, de jouer pleinement son rôle de principal assistant de son père Serigne Babacar Sy. En homme moderne, il ne percevait pas la religion comme un tremplin pour mieux agir sur son monde. «Apprendre ses devoirs religieux et les mettre en pratique, n’exclut nullement le travail manuel et d’esprit qui conduisent à l’amélioration du sort de l’humanité. C’est là un autre champ qu’il ne faut pas fuir pour aucun prétexte», avait-il l’habitude de dire.
Du temps de son père, il dirigeait avec la bénédiction de celui-ci la célébration par la communauté tijane du Sénégal, du «Maouloud», la nuit marquant la naissance du prophète Mohammed (P.S.L). Ainsi, avec cette posture, il était constamment en contact avec les dirigeants des partis politiques.
« Marabout intellectuel » et homme politique
Opposé à Léopold Sédar Senghor, il crée le Parti de la solidarité sénégalaise (PSS). Allié au Parti de l’indépendance et du travail, il se présente aux élections présidentielles de 1959 qui seront gagnées par le parti du premier président sénégalais. Par la suite, il contestera la victoire « tronquée » de Senghor, ce qui lui vaudra d’être arrêté.
Cherchant à se racheter de l’injustice qu’il a fait subir au guide religieux, et par la même occasion, éloigner ce sérieux prétendant au pouvoir, Senghor le nomma ambassadeur du Sénégal en République arabe unie regroupant l’Egypte et la Syrie. Mais cette collaboration ne va pas trop durer. Accusé de « gestion nébuleuse », il sera démis de sa mission diplomatique au Caire. Toutefois, ce divorce avec le parti au pouvoir avait d’autre soubassement. Il lui reprochait surtout son « rapprochement inquiétant avec le monde arabo-musulman ».
Serigne Cheikh l’acteur économique
Brillant intellectuel et homme politique engagé, « Al Maktoum », s’était aussi positionné dans le milieu des affaires. Agriculteur prospère, il a également investi dans la production des oléagineux, de la tomate en conserve et dans le transport, pour ensuite devenir l’actionnaire majoritaire de la Sococim, à l’époque, seul cimenterie du Sénégal. Cependant, ses démêlées avec Abdou Diouf, Président du Sénégal de 1981à 2000, lui valurent d’être débouté de la tête de cette société.Ce parcours, d’intellectuel, d’homme politique et d’homme d’affaire fait de «Serigne Cheikh», un symbole du renouveau de l’islam au Sénégal. Sa revue, «L’islam éternel», lancée après la mise en place de l’Association éducative islamique en 1955 lui permet de mieux asseoir son leadership au sein de la jeunesse islamique. Il abordait avec aisance les thématiques des conférences qu’il avait l’habitude d’animer dans les moindres recoins du Sénégal. Passant de la science à la politique, de la société à la culture, « Al Maktoum » traitait de tous les sujets.
Sa naissance à Saint Louis, l’ancienne capitale du Sénégal, son passage à Paris, ont également contribué à faire de lui un homme ouvert d’esprit, sans pour autant ignorer ses racines. « Ma bréviaire est, et sera toujours l’enseignement de Serigne Babacar Sy », affirmait-il.
Il était certes issu d’une famille très influente au Sénégal mais son charisme lui a permis de s’imposer dans divers domaines au Sénégal.
Depuis son accession au Khalifa, Serigne Cheikh Ahmed Tijane Sy, a continué sa retraite spirituelle, confiant ainsi la plupart de ses activité à son fils, Serigne Moustapha Sy, son fils qui semble emprunter le même parcours que son père
Avec le rappel à Dieu de Serigne Cheikh Ahmed Tijane Sy, la communauté musulmane Sénégal perd un guide religieux multidimensionnel. Mais, il laisse à la postérité un héritage qui fera de lui un homme toujours présent dans les esprits. Son enseignement reste actuel.
Depuis, cette nuit du 15 au 16 mars 2017, Serigne Abdou Aziz A Ibn est successeur du défunt khalife à la tête de la communauté tijane du Sénégal