Algérie: la traversée clandestine d’adolescents vers l’Espagne suscite l’émoi

Des harraga algériens.

Le 01/10/2025 à 08h04

Visages souriants et V de la victoire: des vidéos TikTok d’un groupe d’adolescents algériens, passés clandestinement en Espagne sur un hors-bord, sont devenues virales, déclenchant un débat en Algérie sur les raisons poussant ces très jeunes gens à quitter leur pays.

Sur des images qu’ils ont eux-mêmes filmées comme une excursion touristique, on voit les sept jeunes peu avant leur arrivée début septembre sur une plage de l’île d’Ibiza après un périple de près de 300 km, effectué en neuf heures, selon leurs dires.

«Espagne!», crie l’un de ces «harragas» (migrants clandestins) - dont le benjamin aurait seulement 14 ans - dans l’une des vidéos dont certaines ont recueilli jusqu’à 3,4 millions de vues.

Ces séquences ont suscité de vives réactions en Algérie, des internautes dénonçant «le chômage et des problèmes de corruption» incitant les jeunes à partir, d’autres s’en prenant à un manque de contrôle des parents de ces collégiens et lycéens.

Récemment, l’un des adolescents identifié sur TikTok comme «Ouais Belkif», a détaillé toujours sur TikTok depuis le centre pour mineurs des services d’immigration espagnols où ils sont hébergés, l’organisation de leur traversée.

Il a raconté comment «ils sont partis» de Tamentfoust (La Pérouse), dans l’est de la baie d’Alger, après avoir «volé un bateau en pleine nuit» et stocké de l’essence en remplissant le réservoir du vélomoteur d’un ami. «Des gens nous posaient des questions mais nous n’avons rien dit à personne», a-t-il dit.

«Acte isolé»

Un militant d’une ONG espagnole d’aide aux migrants a assuré à l’AFP que leurs projets n’étaient pas si secrets. Sous couvert d’anonymat, il a dit avoir été contacté avant la traversée par certains parents et que le bateau avait été en réalité «loué par le père d’un des adolescents».

Aucun des parents n’a accepté d’être interviewé par l’AFP. Le plus jeune des ados, surnommé «le petit», jouait dans l’équipe locale de football, a dit à l’AFP un habitant de leur quartier. Sa demande pour intégrer le centre de formation réputé du club Paradou AC à Alger avait été rejetée et il avait confié aspirer à «devenir joueur professionnel en Espagne», selon ce témoin.

Inhabituellement, leur épopée a fait réagir l’armée qui a évoqué dans l’édition de septembre de sa revue «El Djeich» un «acte isolé» qui «ne reflète pas la réalité algérienne», affirmant que «de nombreux pays connaissent des taux bien plus élevés de migration clandestine».

Pourtant, une hausse de 22% sur un an des traversées clandestines en Méditerranée occidentale (entre l’Afrique du Nord et l’Espagne), a bien été constatée par l’agence européenne Frontex depuis le début de l’année, et plus de 90% des 11.791 migrants sont partis d’Algérie.

Pour El Djeich, il y a une «surexploitation de cet incident» pour «nuire à l’image de l’Algérie à l’étranger» alors que le pays a mené «de grands projets (qui...) ont créé des milliers d’emplois au profit d’une jeunesse ambitieuse à laquelle sont offertes de vastes perspectives d’avenir».

Les motivations des «harragas» ne sont pas forcément économiques, selon plusieurs experts, dans un pays riche en ressources et troisième économie d’Afrique.

«Phénomène complexe»

«C’est un phénomène complexe motivé par de multiples facteurs, tels que des opportunités limitées, un manque de perspectives politiques avec des changements promis qui ne sont jamais venus et des restrictions à la mobilité» (visas, cherté des billets d’avion), explique à l’AFP Ahlam Chemlali, chercheuse à l’Université d’Aalborg, à Copenhague.

Selon cette spécialiste des migrations, partir peut aussi répondre à un désir «d’autonomie» pour des jeunes qui «veulent du frisson» et de l’«aventure», alors que la moitié des 47 millions d’Algériens ont moins de 30 ans.

Le phénomène concerne désormais aussi «des familles, des fonctionnaires ou des jeunes filles seules», note le sociologue algérien Nacer Djabi.

Selon lui, les jeunes «perçoivent différemment la notion de frontières» car ils sont «plus mondialisés que les générations précédentes» via une utilisation intense des réseaux sociaux.

Parmi leurs motivations, il pointe des frustrations suscitées par «l’échec» du Hirak - les manifestations pro-démocratie de 2019, étouffées après le Covid et une vague d’arrestations - mais aussi l’aspiration de certains à «davantage de liberté sociale» dans un pays aux moeurs conservatrices.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 01/10/2025 à 08h04