Au Niger, la «porte du désert» est rouverte pour les migrants

Des migrants assis à l'arrière d'un pick-up quelques minutes avant de se rendre à la frontière libyenne à Agadez, le 2 janvier 2024.. AFP or licensors

Le 17/01/2024 à 07h45

Les visages sont couverts de turbans pour se protéger du soleil et du sable, et les doigts agrippés à de sommaires bâtons de bois pour éviter une chute mortelle depuis les véhicules qui fendent le désert.

Juste avant le départ vers la Libye, ils sont des dizaines de migrants à être entassés à l’arrière des pickups rassemblés dans la principale gare routière d’Agadez, ville du nord du Niger.

«Ils sont serrés comme des sardines», reconnaît Aboubacar Halilou, passeur en visite sur les lieux. «Mais c’est notre boulot, il faut que les gens passent», dit-il.

Agadez, surnommée la «porte du désert», renoue avec le business de la migration depuis que les autorités militaires ont abrogé en novembre une loi de 2015 criminalisant le trafic de migrants.

Turbans, sachets d’eau, cigarettes… les marchands ambulants se pressent autour des véhicules pour les dernières emplettes avant un long et dangereux voyage à travers le Sahara. Les retardataires s’activent pour payer leur billet et présenter leurs documents de voyage aux policiers.

Les équipages ainsi enregistrés rejoignent un convoi militaire hebdomadaire qui fait route vers le nord, gage d’une relative sécurité.

L’abrogation fin novembre de la loi de 2015, controversée et impopulaire dans le pays, est censée faciliter le voyage des migrants vers le Maghreb et l’Europe, mais aussi redynamiser l’économie d’une région en proie à une forte criminalité.

«Les gens ont applaudi cette abrogation», se réjouit Aboubacar Halilou. «Les passeurs qui étaient en prison sont déjà libérés et sont en train de reprendre le travail, parce que c’est une activité très lucrative».

Clandestinité

Mais la méfiance persiste et la plupart des chauffeurs fuient les interviews. Un nombre inconnu de transporteurs continue d’emprunter les voies clandestines, au mépris des risques.

Les transporteurs «se sont habitués à contourner» et «ne font pas encore confiance au système», explique Mohamed Anacko, président du Conseil régional d’Agadez.

Les ruelles du quartier Pays-bas, où les migrants embarquent dans les convois, sont pleines de pickups sans plaque aux carrosseries usées, attelage distinctif des passeurs et des contrebandiers qui prospèrent dans cette vaste région désertique réputée être un nœud des trafics d’armes et de drogues transsahariens.

Les convois clandestins partent de nuit, évitant la gare routière et les formalités administratives.

Dans ce quartier, «les chargements se font à l’air libre, dans les rues. On ne sait pas qui est le chauffeur, qui sont les passagers, de quelle origine ils sont, ni leur destination», déplore Azizou Chehou, coordinateur de l’ONG Alarme phone Sahara, qui secourt des migrants égarés dans le désert.

Les associations espèrent que l’abrogation permettra de réguler le secteur et d’assurer ainsi la sécurité des candidats au voyage, comme Yousssouf Sakho, qui attend le jour du départ dans un «ghetto», des maisons discrètes où les passeurs hébergent leurs clients.

Ce ressortissant ivoirien a confié son téléphone et 300.000 francs CFA (450 euros) à son passeur pour aller en Libye. «Le transporteur, tu ne peux pas avoir 100% confiance en lui», reconnaît-il.

Certains migrants découvrent à leur arrivée que l’argent versé n’a pas été remis au chauffeur, et ils sont retenus jusqu’au paiement de leur dette.

Et les chauffeurs qui empruntent les voies clandestines n’hésitent pas à abandonner leurs passagers dans le désert s’ils sont pris en chasse par des bandits ou les forces de l’ordre.

«Ce n’est pas un trafic»

«Il faut que l’on aille vers ces personnes pour leur dire qu’il faut revenir dans le formel et éviter les voies de contournement», assure Mohamed Anacko.

Mais la tâche s’annonce ardue après neuf ans de clandestinité forcée, dans un région marquée par plusieurs rébellions et où la porosité des frontières encourage la fraude.

«La majorité des personnes qui travaillent dans la migration sont des anciens rebelles», souligne Bachir Amma, président d’une association de passeurs. Privés de leur revenu par la loi de 2015, une partie non négligeable d’entre eux se sont reconvertis dans d’autres trafics ou le vol à main armée.

«Pour nous ce n’est pas un trafic, le migrant paye son billet. Nous faisons des feuilles de route, nous travaillons comme toute agence de voyage», affirme M. Amma.

La loi de 2015 avait fait du Niger un partenaire stratégique de la politique migratoire de l’Union européenne (UE), qui peine à contenir les flux dans une Libye ravagée par la guerre civile.

L’UE était le principal financier des projets de reconversion des acteurs de la migration dans la région d’Agadez, aux résultats jugés insignifiants.

Mais après le coup d’État du 26 juillet, l’UE a suspendu sa coopération au Niger.

Les militaires au pouvoir ont dénoncé une loi adoptée «sous l’influence de certaines puissances étrangères» pour justifier son abrogation, largement saluée par les habitants d’Agadez.

«Les autorités ont vu la communauté internationale lui tourner le dos (…) Le Niger constituait une sorte de soupape pour les flux migratoires, alors il fallait rouvrir la soupape», estime Abdourahamane Touaroua, maire d’Agadez.

Il soutient que les départs depuis sa ville ont «triplé» depuis l’abrogation, mais les transporteurs jugent la reprise encore timide et pensent que le niveau d’avant sera rapidement atteint.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 17/01/2024 à 07h45