«Notre peur avec les nouveaux sites que l’on nous propose, c’est que si nous bougeons nous allons perdre la clientèle», explique-t-elle derrière son étalage d’huile et de légumes.
Le gouvernement béninois a décidé de la destruction de ce marché qui s’étend sur 19 hectares pour cause d’insalubrité et prévoit d’installer d’ici 2026 ses commerçants dans 35 nouveaux marchés en cours de construction dans Cotonou et sa périphérie.
Aucune date n’a encore été annoncée, mais les commerçants savent que l’échéance approche.
Au cours des dernières années, le marché de Dantokpa a connu des incendies répétitifs qui ont souvent mis en difficulté les pompiers qui peinaient à accéder aux lieux des départ de feux.
Ces incendies, ajoutés également à l’insalubrité du marché traversé par des égouts et des caniveaux putrides, ont convaincu les autorités béninoises de lancer ce grand projet de rénovation.
«La question de l’insalubrité est un faux problème. Le marché était déjà dans cet état quand j’ai démarré mes activités il y a 20 ans», abonde de son côté Odette Adigbe.
«Si c’est un problème de salubrité, on peut prendre des mesures d’assainissement au lieu de nous déloger de force», ajoute-elle.
Divinité protectrice
Face aux craintes, Mahougnon Aguèmon Amzat, chef du quartier qui abrite le marché, tente de rassurer les commerçants.
«Je ne plaide pas pour la délocalisation, je plaide pour l’épanouissement des clients et vendeuses du marché», défend-il.
Autour de lui, il vante les mérites des nouveaux sites disposant de plus d’espace et des infrastructures adéquates, selon lui.
«Personne n’est venu nous voir. Nous n’avons aucune information. Nous savons qu’ils ont construit un marché à Akassato et nous entendons sur les ondes que des gens doivent rejoindre le site. Mais qui et dans quelles conditions, personne n’en sait rien», déplore Edith Agassin, la cinquantaine.
«Ici, nous avons déjà du mal à faire des ventes, donc imaginez qu’on soit obligé d’aller sur le nouveau site», poursuit Brigitte Akloué Mahoutin, 60 ans, une vendeuse de volailles installée à Dantokpa depuis plus de 40 ans.
Les commerçants, souvent adeptes de la religion vaudou, redoutent particulièrement de perdre les faveurs de la divinité protectrice du marché, appelée Dan et représentée sous la forme d’un serpent, qui leur apporte la clientèle.
Le vaudou, basé sur les forces de la nature et le lien avec les ancêtres dont les représentations peuvent être des objets ou des éléments naturels, est né dans le royaume du Dahomey, qui couvrait le Bénin et le Togo actuels.
«Nous ne pouvons pas laisser la divinité protectrice du marché et tout ce qui est déjà sur ce site pour faciliter les activités commerciales et courir nous installer sur un autre», prévient Nafissatou Abayomi.
Aïnadou Abôhangbé Kanaï, grande prêtresse de Dan, se veut rassurante. «Les vendeurs n’ont rien à craindre», il suffit de «consulter l’oracle» pour déterminer sous la protection de quelle divinité placer les nouveaux marchés.
Bénéfique écologique
«Sur les 20 marchés qui sont déjà construits, environ 30.000 places sont déjà disponibles pour être allouées aux marchands», assure Eunice Loisel Kiniffo, la directrice de l’Agence nationale de gestion des marchés (Anagem).
Pour certains experts économiques, comme Côme Gangbè, ce marché est un vivier pour l’économie nationale mais la trop grande concentration des commerces a besoin d’être modifiée.
Selon lui, cette transformation ne sera pas sans conséquences.
«Il faut que la mayonnaise ait le temps de prendre. Il y aura un moment de flottement… Ces femmes-là savent qu’elles doivent se préparer à ça», prévoit-il.
La délocalisation du marché de Dantokpa sera également bénéfique pour l’environnement, selon Didier Hubert Madafimè, expert en gestion des risques et catastrophes.
«Si on arrive à déplacer le marché, cela va être bien pour la lagune», explique M.Madafimè.
Le marché est responsable de la pollution de la lagune, ce qui constitue actuellement «un danger pour la ville de Cotonou» et ses 1.2 million d’habitants.