Dans de très nombreux pays d’Afrique, la tontine est un système populaire d’épargne collective qui permet depuis des lustres à ceux auxquels les banques ne prêtent pas de financer un projet. Au Cameroun, des start-ups l’ont fait entrer dans l’ère numérique.
Et ce, même si la grande majorité des tontines demeurent traditionnelles, grâce au «bas de laine» dans un tiroir fermé, entre employés d’un même bureau, habitants d’un village, fidèles d’une église...
Joseph Ngono est ravi: avec «le produit de notre tontine hebdomadaire», il peut enfin payer la dernière tranche des frais de scolarité de ses deux enfants. «Sans cela, ils n’entraient pas en classe», lâche cet homme de 40 ans dans le quartier modeste d’Ahala à Yaoundé, la capitale camerounaise.
Il ne touche qu’épisodiquement son salaire mensuel de 150.000 francs CFA (230 euros), parce que son employeur «connaît quelques difficultés de trésorerie».
Pas d’intérêts
Avec collègues et amis, mais aussi des inconnus parrainés par eux, ils cotisent chacun, via l’application mobile Djangui, 10.000 FCFA (15 euros) toutes les semaines. Suivant le système de rotation des tontines ancestrales, la somme totale est versée chaque semaine à l’un des participants, sans payer d’intérêts.
Ce système de «mise en commun de l’épargne (...) entre personnes unies par des liens familiaux, d’amitiés, de profession, de clan...» existait dans le monde entier «bien avant l’introduction de la monnaie», selon une thèse publiée en 2020 par le Global Development Research Center (GDRC), qui recense au moins 30 pays d’Afrique où la tontine est très répandue et 14 en Asie.
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En Afrique, où «85% de la population est exclue du système bancaire», les gens ont décidé depuis longtemps de se tourner vers «ce système informel qui permet d’obtenir du financement facilement et rapidement», écrivait en 2019 l’Institut Afrique Monde.
Djangui a été l’une des toutes premières applications de tontine au Cameroun, lancée en 2016 par la startup Appfabrik de Guilain Kenfack, «pour permettre à des personnes aux quatre coins du globe de participer», explique cet ingénieur de 40 ans.
«L’idée m’est venue parce que j’étais dans une tontine traditionnelle et on avait beaucoup de difficultés, on ne savait pas si certains avaient payé ou pas», poursuit-il.
Pour lancer une tontine, il suffit de télécharger l’application et remplir un formulaire en ligne: participants, mode de paiement, fréquence des versements et de la libération des fonds... On cotise ensuite via Paypal ou virement bancaire.
Guilain Kenfack revendique 50.000 utilisateurs de Djangui.
Remplacer la banque
Au Cameroun, comme ailleurs sur le continent, le taux d’intérêt moyen des banques pour les crédits aux particuliers était de 10,21% en 2022, selon la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Il peut dépasser les 20% ailleurs en Afrique. Et les établissements n’accordent que très rarement des crédits aux petits et moyens salaires.
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La tontine «remplace la banque» et permet aux «acteurs de l’économie informelle» de faire des dépenses incontournables ou «des investissements», explique Omer Zang, fondateur de Social Brokers, une ONG camerounaise qui soutient les tontines.
Djangui a fait des émules ces dernières années et les applications se sont multipliées dans ce pays d’Afrique centrale de plus de 28 millions d’habitants: Tontine.plus, i-djangui, Nkap app, Faroty...
«Avant, nous avions un lieu de rencontre. Mais en se déplaçant, on risquait de se faire voler son argent», se souvient Ernest Tchinda, sans emploi à 48 ans, qui ne jure plus que par son «appli».
Le succès suscite la convoitise de géants de la téléphonie mobile ou des banques. La camerounaise Afriland First Bank offre maintenant la possibilité à ses clients de «tontiner».
Le risque subsiste toutefois: «Il y a des personnes qui s’enregistrent sous de fausses identités», assure Ghislaine Kengne, une téléopératrice de 47 ans qui administre quatre tontines.
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A Yaoundé, Paul Kemayou en a fait l’amère expérience.
«J’ai perdu plus d’un million de francs CFA (1.525 euros) que j’avais épargné pendant un an», se lamente ce fonctionnaire de 48 ans. «Au moment d’en bénéficier, l’administrateur a été incapable de me dire où était passé l’argent».
C’est pourquoi Emmanuel Talla, membre de plusieurs tontines à Yaoundé, refuse de sauter le pas vers le digital. «Je préfère les tontines où l’on se rencontre. On se connaît, et puis les grands côtoient les petits, le contact va au-delà de l’argent», plaide ce commerçant de Yaoundé.