Située en périphérie d’Abidjan, à Bingerville, cette maison rénovée, spacieuse, équipée de sept lits adaptés et d’un personnel formé à la gériatrie, attend toujours ses futurs locataires.
«Plusieurs personnes intéressées m’ont appelée, parfois des personnes âgées elles-mêmes», assure Nina Zougo, fondatrice de cet établissement pionnier. Mais personne n’a encore sauté le pas pour y séjourner.
«Il faut dire qu’en Côte d’Ivoire, l’idée d’une maison de retraite n’est pas adoptée par tous», abonde Arlette Monney, l’une de ses associées.
Qui s’occupe alors des personnes âgées? «Dans 80% des cas, ce sont des membres de la famille», dans d’autres «c’est le voisinage», répond le sociologue ivoirien spécialiste du vieillissement, Arnaud Dayoro.
Une solidarité «mécanique», selon l’universitaire, dans un pays où, comme ailleurs en Afrique, le respect des aînés est une base fondamentale des rapports sociaux.
A Attécoubé, quartier populaire de l’ouest d’Abidjan, deux colocataires à la retraite, assises à l’ombre d’un arbre, discutent de leur vieillesse dans leur cour ensoleillée.
«Mes enfants doivent s’occuper de moi parce qu’ils sont nés de moi», affirme Atta Kouamé, 79 ans. Pour elle, l’envoyer dans une maison de retraite ce serait «l’abandonner», la «jeter».
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Sa belle-soeur, Elisabeth Qwansah, 78 ans, est du même avis. «Là-bas», dans une maison de retraite, «je vais mourir vite» en n’étant pas entourée de sa famille, pense-t-elle.
«Je me prive beaucoup»
La fille d’Atta Kouamé, Emma Koffi, s’occupe quotidiennement depuis huit mois des deux dames âgées.
Un rôle «fatigant» qui l’empêche de voyager et parfois de travailler: «Je me prive de beaucoup de choses», confie cette mère de famille célibataire.
En Côte d’Ivoire, un «aidant» - une personne qui assiste un proche en perte d’autonomie -, «c’est la petite dernière qui n’est pas allée au bout de ses études, l’aînée de la famille qui n’a pas d’argent ou d’époux», explique la fondatrice de la maison de retraite, Nina Zougo.
«Ils n’ont plus de vie. Souvent, les gens prient pour que la personne décède, parce qu’ils sont fatigués», poursuit-elle.
Peuvent en découler «des formes de maltraitance» envers les personnes âgées, ajoute le sociologue Arnaud Dayoro.
Mais des cohabitations fonctionnent. Henriette Bian, 74 ans, est fatiguée et n’a «plus de force» physique. Elle vit avec une de ses filles et reçoit la visite régulière de membres de sa famille.
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«Avec les petits-enfants on joue, on s’amuse», confie-t-elle. Ils lui apportent «de la joie» et elle leur apprend des mots en yacouba, la langue de son ethnie.
Victoire Gondo, une de ses filles qui l’aide régulièrement, est «heureuse» de s’être «rapprochée» de sa mère et profite de ses conseils pour «avancer dans la vie».
«Façon de vivre humaine»
C’est ce lien entre les générations qui a motivé le choix d’Albert Kipré, né en Côte d’Ivoire il y a 84 ans.
Après près d’un demi-siècle en France, il a choisi de revenir dans son pays natal il y a cinq mois pour éviter la maison de retraite dans l’Hexagone où vivent certains de ses enfants.
«Ce serait atroce de mourir abandonné là-bas. En France, j’ai eu une famille sans en avoir, car la vie là-bas ne me permet pas de vivre avec eux. Ici on est en famille: notre façon de vivre, elle est humaine, c’est notre richesse», estime-t-il.
Pour Nina Zougo, pas question toutefois d’isoler les futurs résidents de sa maison de retraite.
Consciente des dysfonctionnements des établissements occidentaux, elle veut créer un lieu de vie animé, où les relations sentimentales et sexuelles ont aussi leur place.
Le gouvernement a lancé en 2021 un programme pour apporter une assistance notamment financière et sanitaire à quelque 200.000 personnes âgées, soit un tiers des plus de 65 ans du pays, qui ne représentent que 2% de la population, selon la Banque mondiale.
En Côte d’Ivoire, l’espérance de vie est de 57 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes.
Mais cette maison de retraite n’est accessible qu’à une minorité aisée de la population ivoirienne. Un séjour d’une journée coûte 35.000 francs CFA, soit environ 53 euros, la moitié du salaire mensuel minimum.