Côte d’Ivoire. «Si on vendait aux entreprises, on gagnerait mieux», les productrices de beurre de karité ne profitent pas de l’or des femmes

Une femme préparant le beurre de karité en Côte d'Ivoire.

Le 25/07/2025 à 11h07

VidéoDans le nord de la Côte d’Ivoire, la fabrication artisanale du beurre de karité demeure une activité essentielle, presque exclusivement menée par les femmes. Entre labeur quotidien et transmission de savoir-faire ancestral, cette production leur assure une source de revenus additionnelle vitale malgré les difficultés de l’activité bien souvent informelle.

Ingrédient comestible, idéal pour le soin de la peau et les cheveux, le beurre de karité est un produit aux multiples vertus. Dans le nord de la Côte d’Ivoire, ce sont les femmes qui assurent tous les maillons de la chaîne de production, de la cueillette à la torréfaction à la vente.

Sous un soleil écrasant, dans le village de Sépikaha dans la commune de Katiola à plus de 550 de kilomètres d’Abidjan, des femmes s’activent autour de grands foyers, des troncs de barrique dégageant de la vapeur chauffée à plus de 200°C. Leurs mains, rompues au travail, s’enfoncent dans une pâte brune, huileuse à l’aspect chocolaté: c’est le beurre de karité. Tel que fabrique, c’est un produit de bonne qualité, extrait traditionnellement, à partir des noix de karité, récoltées dans la savane boisée du nord ivoirien.

Le karité est un arbre qui peut mesurer jusqu’à 15 mètres qui pousse dans la savane en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Les amandes des noix de cet arbre sont utilisées pour fabriquer le beurre de karité.

Cette activité, transmise de génération en génération, est bien plus qu’une charge pour certaines. Elle est également un pilier de la survie économique, de revenus additionnels pour de milliers de femmes rurales dans cette localité.

Venue de la capitale économique, Elisabeth Kouassi s’est rendue au marché du village pour s’en procurer, «Je suis en séjour dans le village de Sépikaha, et sachant qu’ici l’on fabrique du beurre de karité de qualité, je ne peux me retourner à Abidjan, sans en prendre. Toute cette quantité que je tiens (au tour d’un kilo) m’a couté que 500 Fcfa», confie-t-elle.

Mais derrière cette qualité tant prisée, se cache une chaine de fabrication de patience mêlée d’un savoir-faire, un processus long et fastidieux qui exige beaucoup de technicités et de courage, essentiellement mené par les femmes. Le tout fait de manière artisanale, traditionnelle et manuellement.

«On part ramasser les fruits tombés au pied des arbres. Ensuite, on enlève la pulpe, on lave les noix et on les fait sécher soigneusement dans des fours en argile. On peut également les exposer plusieurs jours au soleil pour éviter l’acidification», explique Nimninta Cissé, fabricante du beurre de karité du village.

Et de continuer, «après ça, il faut concasser les noix pour en sortir l’amande, puis la torréfier, faire griller, puis on la pile au mortier pour obtenir de la poudre qu’on pile ensuite au moulin pour obtenir de la pâte». Ce processus libère les arômes et facilite le broyage en pâte épaisse.

«C’est cette pâte qu’on chauffe avec de l’eau, puis battue vigoureusement à la main pour faire monter le beurre à la surface, les impuretés se déposent au fond, Le beurre récupéré est cuit pour évaporer l’eau et éliminer les impuretés. Et enfin, on recueille l’huile (déjà comestible), au-dessus qu’on laisse reposer jusqu’au lendemain, qui se condense pour donner le beurre de karité», décrit-elle. Cette ultime étape assure un produit artisanal prêt à la vente.

Et Ouattara Elisabeth d’ajouter, «le processus peut prendre en quatre jours voire une semaine», indique cette ménagère.

La fabrication beurre de karité demeurant informelle, effectuée à la main, sans machines, représente un pilier économique pour plusieurs femmes rurales. Une fois transformé, le beurre de karité part sur divers marchés ivoiriens. Grossistes ou détaillants, chacun essai du mieux qu’il peut, tirer son profit. Elle leur permet de subvenir aux besoins familiaux et même à la scolarisation des enfants, comme Coulibaly Ramata. «Je fabrique et commercialise mon produit à raison de 25 Fcfa la tranche et 500 Fcfa le kilogramme», relate la commerçante.

Comme elle, environ 150.000 femmes en Côte d’Ivoire vivent directement de la filière karité. Elles en produisent des centaines de tonnes chaque année, même si la majorité des noix récoltées est encore exportée à l’état brut vers les pays voisins. «Ce n’est pas facile. On gagne peu mais si on pouvait vendre directement à de grandes sociétés ou à l’extérieur, on gagnerait mieux», confie Ouattara Elisabeth, quelque peu résignée.

À travers des étapes laborieuses, les femmes du nord ivoirien perpétuent un processus traditionnel qui transforme les noix de karité en du beurre d’abord localement consommé, puis exporté.

Communément appelé «l’or de la femme» dans le nord de la Côte d’Ivoire, le karité, est le 3ème produit d’exportation. Le pays est classé 5ème producteur mondial, avec 400.00 tonnes annuelles, dont 32% transformées localement. Le produit fait vivre plus de 152.000 producteurs.

Par Emmanuel Djidja (Abidjan, correspondance)
Le 25/07/2025 à 11h07