Symbole du commerce dakarois, le marché Sandaga n’est plus que l’ombre de lui-même. Ce haut lieu d’échanges, autrefois bouillonnant de vie, a vu son paysage changer du tout au tout après la démolition de son bâtiment emblématique le 2 aout 2020, jugé vétuste et dangereux par les autorités. Une décision radicale qui, si elle répondait à des exigences de sécurité, a profondément bouleversé les habitudes et le quotidien des commerçants.
Pour Djibril Ngom, commerçant, cette reconfiguration a sonné comme un coup d’arrêt brutal à ses activités. Installé jadis dans une cantine de fortune, il peine depuis à retrouver ses marques et passe désormais ses journées à tuer le temps, loin des affaires florissantes d’autrefois. «Ce qui a changé, c’est qu’on ne vend plus rien. Avant, on ouvrait à 8 heures et on fermait à 17 heures, on travaillait sans arrêt. Mais là, vous m’avez trouvé en train de dormir», se désole-t-il, assis sur son étal déserté.
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D’autres commerçants, en revanche, parviennent à tirer leur épingle du jeu. Sidy Diatta fait partie de ceux qui, bien placés, s’adaptent aisément à la nouvelle configuration. Stratégiquement installé devant les centres commerciaux, il a su capter une clientèle de passage. «Ici, ça va, on s’en sort bien. C’est valable aussi pour ceux qui tiennent des magasins. Les taxis vont et viennent, donc le flux reste constant », confie-t-il, l’œil attentif aux allées et venues.
Mais pour Djibril Ngom, l’incertitude plane. La reconstruction annoncée depuis 2020 tarde à se concrétiser, brisant tout espoir d’un retour à la normale. Une situation qui mine les finances et les perspectives d’avenir des commerçants délogés. « Notre chiffre d’affaires a baissé, on essaie juste de survivre sans oser investir. On est à l’écoute des autorités pour la reconstruction et notre réinstallation, mais cette situation nous tue », dit-il, résigné.
Pendant que certains broient du noir, d’autres relativisent. Sidy Diatta, qui semble avoir trouvé un second souffle dans ce nouveau cadre, estime que le malaise est parfois exagéré. «Il n’y a pas de réelle différence entre la situation d’avant et celle d’aujourd’hui. Je peux même dire que c’est mieux ici ! Les clients viennent de partout. Qu’on ne vous dise surtout pas que ça ne marche pas», affirme-t-il.
Derrière la façade poussiéreuse de Sandaga, le commerce survit tant bien que mal, au gré des réaménagements urbains. L’espoir d’un retour à la normale s’étire dans le temps, laissant place à l’inquiétude et au doute. Pendant ce temps, chacun tente de s’adapter à sa façon, entre patience et résignation.
L’histoire d’une site classé patrimoine historique
Depuis août 2020, le marché Sandaga, pourtant classé patrimoine historique, est au cœur d’une longue controverse après la démolition de son bâtiment historique. Les autorités justifiaient cette opération par la nécessité de reconstruire une infrastructure devenue vétuste et dangereuse, promettant des travaux de 24 mois. Mais cinq ans plus tard, commerçants et habitants s’interrogent toujours sur l’issue du projet.
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Entre les querelles de compétences qui opposent la mairie de la ville à celle de Dakar-Plateau, et les inquiétudes liées au respect des normes de réhabilitation, les commerçants redoutent une dénaturation du site ou, pire, une privatisation de cet espace mythique. Plusieurs d’entre eux dénoncent aussi leur mise à l’écart dans le processus de reconstruction, comme l’a récemment rappelé Djiby Diakhaté, porte-parole du collectif des commerçants de Sandaga.
Erigé en 1933, Sandaga devait être rénové dans le respect de son architecture d’origine. Mais la dernière démolition en 2021 a ravivé les tensions, poussant des spécialistes comme l’architecte Mamadou Berthé à dénoncer une atteinte grave au patrimoine historique, en l’absence d’autorisation conforme à la loi. À ce jour, l’incertitude reste totale pour les commerçants délogés, qui attendent de retrouver leur place dans ce marché emblématique.