Foncier: «Nous avons été pris au dépourvu», en Côte d’Ivoire, les nouvelles règles font craindre aux chefs traditionnels la perte de leurs prérogatives

Parcelles de terre dans un village, illustrant l'importance du foncier pour les communautés.

Le 14/07/2024 à 14h31

VidéoLa récente initiative de l’État de remplacer l’ancienne attestation villageoise par une nouvelle Attestation de Droit d’Usage Coutumier lors de l’acquisition d’un bien foncier a déclenché une vive polémique au sein de la population. Destinée à moderniser et à clarifier la gestion des terres coutumières, cette réforme est perçue de manières diverses.

Le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisation de Côte d’Ivoire a récemment annoncé une réforme majeure: le remplacement de l’attestation villageoise par une attestation de droit d’usage coutumier (ADU).

L’attestation villageoise, bien qu’ayant joué un rôle crucial dans la reconnaissance des droits de propriété en milieu rural, était souvent source de litiges.

Cette attestation manquait de formalisation et de reconnaissance légale, ce qui compliquait la résolution des différends fonciers qui ne sont pas rares. L’attestation de droit d’usage coutumier, en revanche, se veut plus rigoureuse et reconnue légalement, offrant ainsi une meilleure protection des droits des utilisateurs des terres.

«Je salue pleinement cette réforme. Les gens nous ont assez grugés, ils vont jusqu’à vendre un seul terrain à plusieurs personnes à la fois. C’est bien que l’Etat veuille recadrer le secteur», témoigne Kacou Bertin, chef de famille, victime d’une situation pareille. Et Koffi Larissa de renchérir, «c’est une bonne initiative qui va sécuriser nos terres et réduire les conflits. L’ADU vient nous mettre à l’abri de toute surprise désagréable que l’on endure avec les vendeurs de terrains», se réjouit la jeune commerçante.

Si certains saluent cette réforme engagée par le gouvernement, d’autres, en revanche, ne dissimulent pas leurs inquiétudes. «Nous avons toujours utilisé l’attestation villageoise, c’est une tradition. Changer cela va créer de la confusion», explique Zagbra Christophe, un résident de Binao de la région de l’Agneby-Tiassa (Sous-préfecture de Gbolouville). Il redoute que les démarches administratives supplémentaires et la complexité juridique de la nouvelle attestation ne compliquent l’accès à la terre par les populations rurales.

Pour de nombreux villageois, cette réforme pourrait signifier la perte de contrôle sur leurs terres et une ingérence accrue de l’État. Les chefs issus de 59 villages du district autonome d’Abidjan et ses alentours dénoncent également un manque de communication de la part du gouvernement qui, selon eux, serait en train de les déposséder de leur prérogative foncière au détriment du guichet unique.

«Le gouvernement nous a pris au dépourvu, le ministère nous a mis devant le fait accompli, alors que les chefs sont toujours associés aux prises de décision sur les questions foncières. Contre toute attente, nous avons appris cette réforme de l’Etat par les médias», dénonce le collectif des chefs.

Cependant et selon les autorités, la raison de cette réforme serait de mettre fin aux litiges fonciers dus aux multiples attributions pour une même parcelle. Cependant, les chefs coutumiers gardent leur pouvoir de signature de ces documents.

Les détenteurs d’attestations villageoises sur des lots issus de lotissements approuvés, avant 2023, peuvent, quant à eux, faire leurs demandes d’ADU dans les différents guichets du ministère. «Ils disposent d’un délai de six mois. Les transactions faites sur la base de ces anciennes attestations ne seront plus acceptées», a-t-il signifié.

Abdoulaye Diallo a rassuré sur l’unicité et le niveau de sécurité du document qui empêchent les faussaires de s’incruster dans le système. Il a exhorté les populations à dorénavant s’assurer que pour tout achat de terrain, le vendeur dispose d’une ADU.

Le collectif des chefs Tchan accuse le gouvernement de jeter un discrédit sur les chefs de village «cet argument de réforme pour le remplacement des attestions de propriété villageoise jette un discrédit sur les chefs et sur leurs administrés», décrient-ils. Avant d’indiquer qu’ils ont toujours su trouver les solutions idoines aux éventuels problèmes qui pourraient se poser.

Pourtant selon le ministère de la construction, du logement et de l’urbanisation, fruit d’un compromis entre les parties prenantes, «l’ADU est unique et établie conformément à un spécimen sécurisé, proposé par l’Administration en charge du foncier à partir d’une base de données également sécurisée d’identification».

La réussite de cette réforme dépendra largement de la capacité des autorités à informer et à accompagner les populations concernées dans cette transition.


L’ADU est signée par le chef du village, le président du comité villageois de gestion foncière et le lotisseur. Elle est délivrée à chacun des bénéficiaires de lots de compensation.

Par Emmanuel Djidja (Abidjan, correspondance)
Le 14/07/2024 à 14h31