Avec ces attaques aériennes sur des sites jusque-là hors de portée, les Forces de soutien rapide (FSR) qui ont récemment perdu du terrain, veulent décrédibiliser l’armée, la couper de ses approvisionnements et démontrer leur force et leur légitimité, selon les experts.
Depuis dimanche, Port-Soudan, siège provisoire du gouvernement et épicentre de l’aide humanitaire longtemps épargné par les combats, est attaquée tous les jours par des drones attribués par l’armée aux FSR et selon elle fournis par les Emirats arabes unis.
Le dernier aéroport opérationnel du pays a été endommagé, ainsi qu’une centrale électrique, des dépôts de carburant et une base militaire.
«Le groupe que combat l’armée parvient désormais à projeter la guerre au cœur du pays sans y être physiquement présent», observe l’analyste soudanaise Kholood Khair, directrice du think tank Confluence Advisory, basé à Khartoum.
L’objectif est de «couper les approvisionnements de l’armée», dit-elle.
Jusqu’à présent, les paramilitaires s’appuyaient davantage sur des offensives terrestres.
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Depuis la perte symbolique et stratégique de la capitale Khartoum, reprise en mars par l’armée avec à sa tête le général Abdel Fattah al-Burhane, ils ont changé d’approche et misent sur l’aérien.
Selon Michael Jones, chercheur britannique au Royal United Services Institute (RUSI), cette évolution traduit autant une «adaptation stratégique» qu’un geste de «désespoir».
Le conflit entre le chef de l’armée et son ancien bras droit, Mohamed Hamdane Daglo qui mène les FSR, a fragmenté le pays: l’armée contrôle le centre, le nord et l’est, les FSR presque entièrement le Darfour et des parties du sud.
«L’utilisation de drones et de munitions rôdeuses permet aux FSR d’atteindre des zones qu’elles n’avaient pas réussi à infiltrer militairement», ajoute M. Jones.
Et «frapper des zones perçues comme sûres voire comme le cœur du pouvoir militaire, affaiblit la capacité de l’armée à se projeter politiquement, comme un pôle de stabilité et de réconfort auprès des Soudanais», dit-il.
Pour Hamed Khalafallah, chercheur soudanais du Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP), ces attaques de drones sont «un message que la guerre continue».
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Il juge «peu probable» que les paramilitaires reprennent Khartoum ou atteignent Port-Soudan par voie terrestre mais « les drones servent à créer un climat d’insécurité dans des villes comme Port-Soudan», dit-il.
«Bombes guidées»
Selon un ex-général soudanais, les FSR utilisent deux types de drones explosifs : un modèle artisanal léger transportant une charge de mortier de 120 mm qui se dirige vers sa cible et explose; et un autre à longue portée, le CH95 chinois, capable de livrer des missiles guidés.
Amnesty international affirme pour sa part avoir identifié «des bombes guidées chinoises GB50A et des obus AH-4 de 155mm» en analysant des images de débris retrouvés après des attaques à Khartoum et au Darfour.
Selon l’organisation, ces armes chinoises ont été fournies aux FSR par les Emirats arabes unis, pays avec lequel le gouvernement soudanais a rompu ses relations diplomatiques mardi. Pointé par plusieurs rapports, Abou Dhabi a toujours démenti toute ingérence au Soudan.
Selon Amnesty, la géographie du Soudan, troisième plus vaste pays d’Afrique avec 1.250 km du nord au sud et 1.390 km d’est en ouest, «facilite les frappes et la surveillance des drones» comme les Wing Loong II chinois ou les Bayraktar TB2 turcs.
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Les drones pourraient contribuer à l’enlisement du conflit, entré dans sa troisième année et devenu depuis «la pire catastrophe humanitaire» au monde, avec des civils exposés aux bombardements, aux exactions et par endroit, à la famine.
Avec les drones, «il est plus facile pour les paramilitaires d’attaquer rapidement puis de se replier», avance ainsi Mohaned el Nour, chercheur soudanais du TIMEP. «Leur objectif est surtout de détourner l’attention de l’armée».
D’autant que les FSR connaissent une érosion de leurs effectifs, selon Mme Kholood Khair, du fait d’un recrutement qui reposait largement sur des promesses de pillages alors qu’«il y a désormais très peu de zones à piller».
Pour Mohaned el Nour, les paramilitaires cherchent à se poser en alternative gouvernementale crédible, non en rebelles, et «s’ils parviennent à convaincre certaines puissances, ils pourraient obtenir davantage de soutien».