L’excision peut toucher jusqu’à 70% des Sénégalaises: comment expliquer l’impuissance de la loi?

Le 21/06/2025 à 08h31

VidéoPour tenter de comprendre l’incapacité d’une loi vieille d’un quart de siècle à endiguer une pratique préjudiciable à la santé des femmes, juristes, magistrats et acteurs communautaires se sont réunis à Dakar. Il en ressort qu’une autre loi, celle du silence, favorise ces mutilations qui ne sont que violations des droits humains des jeunes filles et des femmes.

Coumba Guèye Ka, juriste et secrétaire exécutive de l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS), a rappelé l’ampleur du phénomène des mutilations génitales féminine (MGF). «Les mutilations génitales féminines touchent aujourd’hui toutes les régions administratives du pays, avec des taux particulièrement alarmants dans le sud où l’on dépasse parfois les 70%. Même à Dakar, la pratique existe encore, bien que plus discrète

Elle a insisté sur les disparités régionales, avec une prévalence nationale de 23,3% chez les femmes âgées de 15 à 49 ans, mais des pics allant jusqu’à 73% à Tambacounda, Kolda ou Sédhiou.

Malgré la loi n° 99-05 du 29 janvier 1999 qui criminalise les MGF et prévoit des peines allant de six mois à la perpétuité en cas de décès, les poursuites restent rares.

Une situation que déplore le procureur de la République au tribunal de grande instance de Tambacounda, Aliou Dia qui explique ce paradoxe par l’absence quasi totale de dénonciations. «La loi existe, mais les familles ne parlent pas. Par peur, par loyauté communautaire ou par simple habitude. Résultat, nous avons très peu de dossiers, et donc peu de condamnations.» L’homme de loi appelle à une implication plus forte des populations. «Il faut que les communautés se sentent concernées. Protéger les filles, c’est aussi défendre la loi

Pour contourner cette résistance, les organisations de la société civile adoptent des approches communautaires. Coumba Guèye Ka est revenue sur une initiative innovante mise en œuvre par l’AJS dans certaines localités. «Nous demandons aux chefs coutumiers et aux chefs de famille de faire des déclarations publiques d’abandon des MGF. Une fois prononcées devant toute la communauté, ces paroles engagent leur honneur et leur autorité. Et cela fonctionne: la pression sociale devient un levier puissant

Selon l’UNICEF, plus de 230 millions de femmes et de filles dans le monde ont subi des mutilations génitales féminines. Selon la même source, l’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient sont les principales régions du monde où l’on recense les cas d’excision. Les MGF sont pour la plupart pratiquées sur les filles entre la petite enfance et l’âge de 15 ans.

Dans cette vidéo de l’UNICEF, les témoignages poignants des victimes africaines de l’excision.

L’Organisation mondiale de la santé avertir que ces mutilations peuvent avoir de graves conséquences sur la santé de celles qui les subissent, allant de la douleur violente à la mort. «Le traitement des complications médicales des MGF coûterait aux systèmes de santé 1,4 milliard de dollars par an, un chiffre qui devrait augmenter si des mesures urgentes ne sont pas prises pour qu’elles soient abandonnées», met en garde l’OMS.

En conclusion de la rencontre de Dakar qui a eu lieu le 18 juin, les intervenants ont insisté sur la nécessité de compléter les outils juridiques par des actions de terrain, en renforçant les capacités des professionnels, en diffusant largement le manuel juridique récemment élaboré, et surtout en brisant les tabous qui entourent encore ce sujet.

Si le Sénégal a ratifié presque tous les instruments juridiques internationaux en matière de droits des femmes, c’est désormais dans les villages, les familles et les consciences que la lutte doit se poursuivre.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 21/06/2025 à 08h31