L’informel au Sénégal: «C’est un risque permanent», les multiples peines des femmes

Le 18/10/2024 à 09h00

VidéoPrès de 95% des femmes entrepreneurs sénégalaises opèrent dans le secteur informel et ne bénéficient donc d’aucune reconnaissance hormis celle de leurs familles dont elles doivent subvenir aux besoins. Coumba Niang et Sala Fall en témoignent.

À Dakar, au cœur du marché Thiaroye, Coumba Niang, vendeuse de légumes, commence sa journée dès l’aube. Depuis plus de dix ans, elle suit cette même routine: se lever à 5 heures du matin, se rendre à la gare des camions en provenance des campagnes, acheter ses légumes, les revendre au détail. «Je ne peux pas rester sans rien faire», dit-elle. Pour Coumba, tenir ce commerce informel n’est pas seulement une question de survie économique, mais aussi une manière de s’épanouir malgré les défis quotidiens.

Coumba Niang est loin d’être un cas isolé dans un pays où «9 travailleurs sur 10 occupent un emploi informel et 97% des entreprises sont dans le secteur informel» selon le «Diagnostic de l’économie informelle au Sénégal» établi en 2020 par l’Organisation internationale du Travail (OIT) qui pointe «un déficit de travail décent.»

Autre commerce, celui des habits, même marché dakarois. Sala Fall refuse de rester inactive. «J’ai commencé ce commerce il y a 7 ans. Je voulais m’assurer que je peux subvenir aux besoins de ma famille», explique-t-elle. Tous les jours, elle expose ses articles dans une petite boutique de fortune. Les affaires ne sont pas toujours bonnes, mais comme Coumba, Sala ne baisse pas les bras. Elle s’accroche à son travail avec détermination.

Pourtant, malgré leurs efforts, ces deux femmes déplorent le manque de soutien financier. «Nous travaillons dur, mais il n’y a pas de financement ni de structures pour nous appuyer», affirme Sala. Coumba acquiesce: «Sans appui, il est difficile de se développer. Les banques ne nous font pas confiance et les autorités semblent nous oublier».

Pourtant, poursuit l’OIT, dans les activités non-agricoles, 90 % des femmes à Dakar ont un emploi informel. Et c’est statut non reconnu qui constitue un frein à l’accès des femmes aux services bancaires dans un pays où taux de bancarisation au Sénégal est de 59,7% mais la plupart des femmes n’ont pas de compte bancaire comme en témoigne le projet Women Count du ministère de l’Economie et celui de la Femme, de la Famille et de la Protection des Enfants: en 2022, «la majorité des femmes entrepreneurs (94,1%) opèrent dans le secteur informel contre 86% des hommes.»

On comprend alors mieux la frustration Coumba Niang et Sala Fall, car sans moyens, leur commerce reste limité. Les deux femmes rêvent d’un jour où les autorités locales mettraient en place de véritables politiques de soutien aux petites commerçantes comme elles.

Coumba Niang, malgré son optimisme naturel, évoque aussi les difficultés de l’autofinancement. «Parfois, on achète des produits, mais ils restent invendus», dit-elle en montrant des paniers de légumes qu’elle n’a pas pu écouler. «C’est un risque permanent.»

Avec ses faibles marges et un approvisionnement irrégulier, gérer un commerce devient un exercice d’équilibriste, d’autant plus que les revenus sont instables.

Les femmes comme Coumba et Sala jouent un rôle central dans l’économie de leur pays, soutiennent leurs familles, leurs enfants, et parfois même leurs maris grâce à leurs modestes activités commerciales. Ces femmes du secteur informel méritent une reconnaissance à la hauteur de leur contribution, car elles sont le véritable moteur de la résilience économique au Sénégal.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 18/10/2024 à 09h00