Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) a fait des enlèvements d’étrangers un pilier de sa guerre économique pour freiner les investissements internationaux, paralyser l’activité économique du Mali et aboutir à une éventuelle chute de la junte au pouvoir.
En juin, il avait menacé de frapper les industries étrangères installées dans le pays et toute autre entreprise faisant des affaires avec l’Etat malien sans «son autorisation».
Depuis, le JNIM mène un «jihad économique» intense contre Bamako, combinant blocus sur le carburant acheminé depuis le Sénégal et la Côte d’Ivoire, attaques contre des sites industriels et miniers, et nombreux enlèvements d’étrangers, estime le groupe de réflexion Timbuktu Institute.
«Entre mai et octobre 2025, au moins 22 ressortissants étrangers ont été enlevés — soit environ le double du précédent record de 13 en 2022», dit à l’AFP Héni Nsaibia, analyste principal pour l’Afrique de l’Ouest chez l’ONG ACLED, qui recense les victimes de conflits dans le monde.
«Les victimes incluent des ressortissants chinois, indiens, égyptiens, émiratis, iraniens, ainsi que trois personnes originaires de l’ex-Yougoslavie (un Serbe, un Croate et un Bosnien)», précise M. Nsaibia.
Rançon «invraisemblable»
Le 26 septembre, un Emirati de la famille royale évoluant dans le business de l’or et deux de ses collaborateurs iranien et pakistanais avaient été enlevés par le JNIM près de Bamako.
Une première somme de «400 millions de francs CFA (plus de 700.000 dollars)» ont été d’abord versés au JNIM pour obtenir «des preuves de vie» des otages, qui ont ensuite été libérés fin octobre contre une rançon de «50 millions de dollars au moins», selon une source proche des négociations.
«Les 50 millions de dollars représentent la rançon la plus élevée jamais connue dans la région et constitue un apport financier majeur pour le JNIM», affirme Héni Nsaibia.
Si on ignore qui a formellement versé la rançon, le JNIM a également obtenu «la libération d’une trentaine de ses prisonniers» détenus par les renseignements maliens, a ajouté une source sécuritaire malienne, qui confirme aussi le montant exorbitant.
«Des militaires maliens ont également été libérés au cours du même échange. C’est une transaction invraisemblable dans son ampleur et ses composantes, surtout dans le contexte actuel», poursuit la source sécuritaire.
Pour les chercheurs, cette rançon inédite représente un apport financier stratégique pour le JNIM dans sa guerre économique contre le Mali.
Elle va lui permettre de «maintenir son niveau d’engagement militaire actuel, y compris le blocus économique sur Bamako, pendant une période prolongée», dit Rida Lyammouri, chercheur au Policy Center for the New South (PCNS).
«Davantage d’armes»
«Une telle somme ne fera que renforcer l’ambition du JNIM de s’étendre et de s’implanter durablement au Sahel et dans les États côtiers d’Afrique», ajoute le chercheur.
«Les fonds permettront au groupe d’acquérir davantage d’armes, telles que des drones armés FPV, des explosifs et des armes légères, ainsi que de payer les salaires des combattants», dit Liam Karr, analyste pour l’American Enterprise Institute, basé à Washington.
Le départ des forces françaises a créé un vide sécuritaire facilitant pour les jihadistes les kidnappings, leur transfert dans une zone sécurisée sans crainte des opérations de sauvetage, pointe M. Lyammouri.
Le JNIM détient toujours plusieurs autres otages qui, une fois monnayés, renforceront sa puissance financière et ses capacités d’action.
La plupart des otages ont été enlevés dans l’ouest du pays, qui représente «environ 80% de la production d’or du Mali et sert de corridor commercial vers le Sénégal», premier fournisseur du Mali, selon le groupe de réflexion Soufan Center.
Au moins «11 citoyens chinois» y ont été enlevés dans des attaques contre sept sites industriels étrangers, dont six chinois, ajoute l’American Enterprise Institute.
La semaine dernière, cinq Indiens travaillant pour une société d’électrification et un Egyptien ont été kidnappés dans la même région.
«Cibler les ressortissants étrangers éloigne les investissements étrangers, sapant une source de revenus (miniers) clé pour la junte malienne», dit Liam Karr.
Face à la dégradation de la situation, les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé il y a deux semaines le retrait de leur personnel non essentiel du Mali, et plusieurs ambassades, dont la France, ont demandé à leurs ressortissants de quitter le territoire.
