«J’ai accepté pour protéger ma famille. On aurait tous péri si j’avais refusé», confie-t-il d’une voix posée. Aujourd’hui, il veut tourner la page.
«Comme je n’ai pas de parents, reprendre l’école sera difficile. Mais si je peux apprendre un métier ici, j’aurais une chance de recommencer et de faire quelque chose de ma vie.»
Le “ici”, c’est le Centre de démobilisation et de réintégration de Mutobo, dans le nord-ouest du Rwanda. Depuis sa création en 2001, le centre a accueilli plus de 13.000 anciens combattants, dont plus de 400 enfants, revenus des forêts congolaises après des années de combat et d’idéologie radicale. Leur retour est d’abord un geste politique, mais c’est aussi une opération humaine, complexe, et vitale pour la stabilité régionale.
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Jean d’Amour fait partie d’une unité plus large de 200 anciens combattants et leurs familles qui, il y a environ deux mois, sont rentrés volontairement au Rwanda depuis la République démocratique du Congo (RDC) voisine, cherchant à rejoindre la communauté rwandaise après des années, et pour certains, des décennies, de combat aux côtés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), vestiges des auteurs du génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda, selon les autorités rwandaises.
«Ici, nous accueillons les anciens membres des FDLR et d’autres groupes armés ayant la même idéologie. Ils suivent une formation de déradicalisation sur trois mois», explique le major à la retraite Cyprien Mudeyi, directeur du centre.
L’objectif est clair: «leur retirer les idées divisionnistes reçues» et leur donner les moyens de vivre en paix dans leur pays. Outre des modules sur la citoyenneté, l’histoire, la réconciliation, le développement, les ex-combattants et les membres de leurs familles peuvent ensuite bénéficier d’une formation technique gratuite — voire, pour les plus jeunes, reprendre l’enseignement formel. Une attention particulière est portée aux cas vulnérables, notamment les orphelins, pour lesquels le centre engage un travail de recherche familiale et de médiation.
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Comme Jean d’Amour, Vestine Uwamahoro, 31 ans, a foulé pour la première fois le sol du Rwanda avec son mari ancien militaire des FDLR et leurs quatre enfants. Après deux mois passés au centre de Mutobo, elle a beaucoup appris sur le pays de ses ancêtres. Un choc énorme oui, mais aussi un nouveau départ et une chance de voir ses enfants grandir dans un pays paisible, qui se développe mais le plus important, leur pays.
«Je suis prête à vivre comme tous les autres Rwandais. Je demande juste un petit terrain et une maison pour commencer. Le reste, je vais me débrouiller. Si j’y suis arrivée dans un pays étranger, je peux y arriver ici.»
Pendant ces deux mois passés à Mutobo, Vestine a pu voir quelques membres de sa famille lointaine qui lui ont rendu visite, après des recherches et des communiqués passés à la radio. Ils ne connaissaient pas son existence mais ils ont décidé de l’accueillir dans leurs vies mais le plus difficile, c’est qu’elle ne pourra pas bénéficier de l’héritage familial car il n’y en a tout simplement plus, d’où sa demande d’assistance particulière pour pouvoir s’en sortir.
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Son souhait n’est pas isolé: une fois démobilisés, les anciens combattants et leurs familles sont suivis par la Commission rwandaise de démobilisation et réintégration, en lien avec les autorités locales. Des plaidoyers sont engagés auprès des partenaires de développement et de la Force de réserve pour faciliter leur réinsertion.
Dans une région des Grands Lacs marquée par les conflits prolongés et les déplacements de populations, l’initiative rwandaise fait figure de modèle. Certes, la paix durable ne dépend pas uniquement des centres de réintégration, mais leur rôle est crucial. Ils offrent une alternative à la violence, en misant sur l’éducation, le dialogue, et l’opportunité de reconstruire des vies.
La démarche s’inscrit aussi dans une stratégie plus large de réconciliation nationale. Depuis 2001, plus de 13.000 anciens combattants ont été démobilisés au Rwanda grâce aux différents programmes soutenus par le gouvernement et ses partenaires internationaux. Une goutte d’eau, peut-être, au regard des tensions persistantes dans la région, mais un pas concret vers la reconstruction.