Sénégal. Menaces de mort, terrains vendus plusieurs fois: le foncier de toutes les dérives

Des chantiers à Dakar.
Le 20/08/2025 à 08h48

VidéoAu Sénégal, la question foncière est devenue une véritable bombe sociale. Chaque année, des centaines de familles se retrouvent plongées dans des batailles juridiques interminables. Des citoyens ordinaires, confrontés à des prédateurs fonciers puissants, souvent protégés par des réseaux opaques.

Aladji Gaye, mère de famille, a acheté son terrain à la Cité des enseignants de Tivaouane Peulh en 2013. Douze ans plus tard, elle vit toujours dans une incertitude sans fin.

«Un jour, on m’a appelée pour m’informer que quelqu’un construisait sur mon terrain. Je me suis précipitée sur place et j’ai trouvé des maçons en train de travailler. Ils ont refusé de me dire qui les avait envoyés. Mais j’ai appris qu’un promoteur bien connu dans la zone avait revendu ma parcelle. Comme j’avais engagé un gardien, ils venaient la nuit pour élever les murs. J’ai alerté la Direction de la Surveillance et du Contrôle de l’Occupation du Sol qui a démoli la construction, mais le promoteur est revenu et a fait couler du sable dans les fondations. Pourtant, j’ai tous mes papiers: ma délibération, mes reçus de versement… À l’époque, quand je venais ici, il n’y avait rien. Je me déplaçais même en charrette pour accéder au terrain.»

Comme elle, des milliers de familles sénégalaises se sentent abandonnées. Entre les lenteurs de la justice et les complicités locales, l’espoir d’une solution durable s’amenuise.

Mame Awa Touré raconte: «J’ai payé jusqu’en 2012, année où j’ai reçu ma délibération. J’ai clôturé ma maison. Mais en 2023, j’ai découvert que des gens avaient détruit mon mur pour lancer leur propre construction. Quand je les ai interpellés, ils m’ont dit qu’un certain Ndiaga leur avait vendu le terrain, le 4 avril 2023. Et en 2024, le même terrain a été revendu à une autre personne.»

À travers ces témoignages, une réalité s’impose: le foncier au Sénégal est devenu un champ de bataille où la loi du plus fort menace la dignité des citoyens. Comme en témoigne Pape Kassé, père de famille: «J’étais présent lorsque ces murs étaient en construction. Plus de cinq maçons étaient sur place. Je leur ai dit que c’était mon terrain, mais un promoteur est arrivé avec ses fils et m’a menacé, affirmant que si je remettais les pieds ici, ils allaient me tuer, car, selon eux, le terrain appartient à Pape Sall. J’ai alerté la DSCOS, mais on m’a répondu que seule la justice pouvait arrêter les travaux déjà entamés.»

Aujourd’hui, au Sénégal, les litiges fonciers se multiplient. Derrière chaque dossier, ce sont des familles entières qui vivent dans l’incertitude, sous la menace permanente de voir leurs maisons détruites ou leurs terres arrachées. Un quotidien marqué par la peur, l’injustice et un sentiment d’abandon face aux prédateurs fonciers. Des familles qui attendent encore une réponse, une protection, une justice, avant que leurs rêves ne soient réduits en poussière.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 20/08/2025 à 08h48