Des centaines de milliers de filles sont mariées avant l’âge de 18 ans dans ce pays d’Afrique de l’Ouest où un patriarcat très fort expose les femmes à des formes multiples de violences et discriminations de genre.
La Sierra Leone, pays de près de neuf millions d’habitants parmi les plus pauvres du monde, accuse des taux de mariage et de grossesse avant l’âge adulte parmi les plus élevés de la planète.
Une nouvelle loi promulguée mardi criminalise le mariage des enfants de moins de 18 ans et expose les contrevenants à au moins 15 ans de prison et une amende d’au moins 50.000 leones (2.083 euros).
Mais le texte, promu par la Première dame Fatima Maada Bio, reste muet sur les mutilations génitales féminines (MGF) alors qu’elles sont extrêmement répandues et intimement liées au mariage précoce.
«Ce que nous disons, c’est: bon boulot», dit Josephine Kamara, 31 ans, à propos de l’interdiction des mariages précoces. «Mais cela n’occulte pas l’existence d’une pratique qui perpétue de tels mariages», à savoir les mutilations, ajoute la directrice plaidoyer de l’organisation de défense des droits des filles et des femmes Purposeful (Résolues) dans un entretien par téléphone avec l’AFP.
Ces mutilations incluent l’ablation partielle ou totale du clitoris (excision), ou plus largement des organes génitaux externes, ou tout autre blessure des organes génitaux. En dehors de la douleur, elles peuvent avoir de graves conséquences: infections, saignements, et plus tard stérilité et complications en couches.
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En Sierra Leone, 83% des femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi de telles mutilations, indique une enquête nationale de 2019.
«Couper le clitoris signifie que les filles sont prêtes à devenir des femmes. Ce rite de passage veut dire qu’une fois que vous êtes passée par là, vous êtes adulte, même si vous n’avez que 7 ans», explique Josephine Kamara.
Alimatu Dimonekene, 54 ans, militante pour l’abolition des mutilations génitales, estime qu’interdire les mariages d’enfants sans interdire les mutilations, «crée beaucoup de confusion».
L’argument de la culture
«Si on procède aux ablations si jeunes en Sierra Leone, c’est pour marier les filles», dit-elle.
«Les familles disent parfois: +Oh ! On lui a trouvé un prétendant+ ou ”C’est le prétendant qui paie pour qu’on fasse l’ablation”».
«En général, l’enfant est mariée le lendemain à je ne sais qui parce que ce sont les mêmes chefs traditionnels» qui pratiquent la mutilation et procèdent au mariage, rapporte-t-elle.
Josephine Kamara est d’accord pour trouver le message «très contradictoire». «Nous disons: fini les mariages, et nous laissons subsister l’institution qui sert à faire son marché pour le mariage».
L’interdiction des MGF figure pourtant avec celle du mariage dans un texte sur les droits des enfants toujours bloqué au Parlement.
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Les militantes auxquelles l’AFP a parlé soupçonnent les parlementaires d’avoir isolé la question du mariage pour ne pas trancher celle des mutilations, potentiellement plus sensible dans l’opinion.
«Nous savons bien pourquoi ils refusent d’en parler: (les MGF) font partie de la culture. (Les gens disent:) ”C’est notre culture, ce sont nos pratiques”», dit Mme Kamara.
Or «il n’y a rien de culturel dans le fait de couper le clitoris, c’est juste une violation des droits humains», s’émeut-elle.
La peur de critiquer un acte aussi répandu réduit le législateur au silence, convient Rugiatu Turay, 50 ans, fondatrice de l’Amazonian Initiative Movement qui combat les MGF. Elle a elle-même été soumise à l’âge de 11 ans à une tradition qui lui a fait perdre beaucoup de sang, mais aussi une cousine.
«Ce n’est pas en interdisant seulement le mariage des enfants qu’on réduira les MGF», dit-elle, estimant que le législateur «doit avoir une approche holistique qui vise à mettre fin aux souffrances des enfants, sans séparer les problèmes».