Un déferlement de violence alimenté par des appels à la vengeance s’est abattu mardi et mercredi sur les migrants originaires d’Afrique subsaharienne à Sfax, après que l’un d’eux, présenté comme Camerounais par les autorités, a tué un habitant de la ville lors d’une rixe.
Cet incident a mis le feu aux poudres dans une ville dont les habitants proclamaient leur exaspération face à la présence de migrants illégaux dans leur ville, où un grand nombre d’entre eux s’installent dans l’attente d’une traversée illégale vers l’Italie à bord de bateaux de fortune.
Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe à l’égard de ces migrants s’est répandu depuis que le président tunisien Kaïs Saied a pourfendu en février l’immigration clandestine, la présentant comme une menace démographique pour son pays.
Au lendemain de la rixe mortelle, des dizaines de migrants africains ont été expulsés de Sfax par les forces de sécurité, sous les acclamations de la population locale.
Selon des ONG, des centaines d’entre eux ont été conduits à bord de cars dans des zones désertiques dans le sud tunisien, pour certains d’entre eux près de la frontière avec la Libye et pour d’autres celle de l’Algérie. De nombreux migrants étaient arrivés illégalement en Tunisie depuis ces deux pays.
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«Nous n’avons rien à manger ou boire. Nous sommes dans le désert», a déclaré à l’AFP au téléphone Issa Koné, un Malien de 27 ans.
«Des agents de la garde nationale (tunisienne) nous ont attrapés à Sfax après avoir cassé notre maison», a-t-il ajouté. Il affirme avoir été conduit à bord d’un car près de la frontière algérienne avec une dizaine d’autres migrants avec lesquels il partageait un logement à Sfax.
«Tenter la traversée»
Avant de venir en Tunisie, où il vivait de petit boulots, M. Koné avait travaillé pendant deux ans en Libye mais le conflit qui ravageait le pays l’a poussé à partir.
«J’étais venu car j’avais entendu qu’en Tunisie on respectait les droits de l’Homme, mais ce qui se passe montre que ce n’est pas la réalité», se désespère-t-il.
Selon M. Koné et d’autres témoins, au moins un millier de migrants se trouvaient jeudi complètement démunis dans cette zone désertique après avoir été expulsés de Sfax.
Mamadou Dembélé, un autre Malien âgé de 31 ans, se croyait en passe de réaliser son rêve d’immigrer en Europe quand le bateau qui le transportait vers les côtes italiennes avec 46 autres migrants a été intercepté mercredi par les garde-côtes tunisiens au large de Sfax.
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Au lieu de débarquer sur l’île italienne de Lampedusa comme prévu, il s’est retrouvé jeudi dans le désert du sud tunisien où il a été conduit avec d’autres migrants africains par les forces de sécurité tunisiennes.
Venu en Tunisie il y a cinq mois «pour tenter la traversée» vers l’Europe, il affirme ne pas vouloir «retourner en Algérie» d’où il est arrivé en franchissant illégalement la frontière.
«J’étais resté six mois en Algérie pour tenter d’aller en Europe depuis là-bas mais cela n’a pas marché donc je suis venu tenter ma chance depuis la Tunisie», confie-t-il au téléphone.
«Au Mali, il y a le conflit, c’est pour ça que je suis parti. Je voulais aller en Europe pour travailler, aider ma famille», ajoute-il.
Outre ceux transférés de force dans le désert, des dizaines de migrants, craignant d’être la cible des représailles de la population locale, se sont rués mercredi et jeudi vers la gare ferroviaire de Sfax pour se rendre dans d’autres villes tunisiennes.
«Avant-hier, je dormais. Je ne sais pas qui mais les Arabes sont entrés dans la maison et ont tout saccagé. Je suis arrivé ici hier à 6h00. Je veux aller à l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) et à l’ambassade de Guinée Conakry» à Tunis, dit à l’AFP Souleymane Diallo, 28 ans , un migrant originaire de Guinée rencontré jeudi à la gare de Sfax.
«Moi je veux retourner dans mon pays. C’est ma destination», ajoute-il.