Violences sexuelles au Sénégal: 5 ans après son adoption, la loi impuissante devant l’augmentation des cas de viols

Le Palais de justice de Dakar.

Le 28/02/2025 à 16h47

VidéoPrès de trois femmes sur dix au Sénégal ont subi des violences dont des viols. Ces statiques officielles semblent résister à la loi adoptée en 2020 qui criminalise le viol et la pédophilie: les cas de violences à caractère sexuel ne cessent d’augmenter. Entre lenteur judiciaire, sentiment d’impunité et silence des victimes qui craignent la stigmatisation, l’application effective de cette loi reste un défi majeur.

Le Sénégal enregistre une hausse inquiétante des cas de violences sexuelles. Aminata Fall Niang, présidente de l’Association des juristes sénégalaises (AJS) tire la sonnette d’alarme. «Paradoxalement, depuis l’adoption de la loi criminalisant le viol, nous constatons une forte augmentation des cas signalés.»

Cette situation soulève des interrogations. S’agit-il d’une meilleure libération de la parole des victimes, ou d’une recrudescence réelle des violences? Quoi qu’il en soit, les structures d’accompagnement se retrouvent dépassées par l’ampleur du phénomène.

Pour Dr Ndèye Ndiaye Ndoye, docteure en sciences sociales et membre de la société civile, le problème dépasse le cadre strictement juridique. «L’impunité est alimentée par un silence complice des familles. Beaucoup de victimes ne portent pas plainte sous la pression sociale ou par peur du déshonneur familial», déplore-t-elle.

Cette tendance à étouffer les affaires de viol empêche une réelle prise en charge des victimes et renforce la culture de l’impunité. Des procédures judiciaires trop longues et des preuves difficiles à établir. Lorsqu’une victime ose briser le silence et engage des poursuites, elle se heurte souvent à des lenteurs administratives décourageantes.

Aminata Fall Niang pointe du doigt la durée excessive de la phase d’instruction. «Les dossiers traînent pendant des mois, voire des années, ce qui complique l’accès à la justice pour les survivantes», regrette-t-elle. En outre, l’absence de preuves matérielles constitue un obstacle majeur à la condamnation des agresseurs.

Selon Dr Ndèye Ndiaye Ndoye, cette difficulté à collecter des preuves est souvent aggravée par le retard dans le dépôt des plaintes. «Beaucoup de victimes, sous la pression familiale, ne se manifestent qu’après plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Or, plus le temps passe, plus il devient difficile d’obtenir des preuves médico-légales exploitables», explique-t-elle. Ce retard profite souvent aux agresseurs qui échappent ainsi aux poursuites.

Face à ces multiples obstacles, un véritable changement de mentalités s’impose. Une meilleure sensibilisation des familles, un renforcement des moyens d’enquête et une accélération des procédures judiciaires sont essentiels pour garantir une application effective de la loi. Sans ces réformes, la criminalisation du viol risque de rester un texte de loi sans réel impact sur la protection des victimes.

En novembre 2024, la ministre de la Famille et des Solidarités, selon laquelle trois femmes sur dix au Sénégal ont subi des violences, avait annoncé l’inauguration «prochaine» d’un centre national de prise en charge holistique des victimes de violences, ainsi que l’ouverture de centres d’accueil à Fatick, Kaolack et Kaffrine, avec l’appui de l’Agence belge de développement. «Ces centres auront pour vocation d’assurer aux victimes et survivantes de viols une prise en charge médicale, sociale et juridique», avait promis Maimouna Dieye.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 28/02/2025 à 16h47