Les statistiques de l’Office des étrangers belge à fin juin 2025 révèlent une baisse générale des demandes de visa de court séjour (type C) au premier semestre 2025, avec 114.178 requêtes enregistrées contre 207.101 sur la même période en 2024. Cette diminution significative n’a pourtant pas remis en cause la position centrale de cinq pays africains– Maroc, RDC, Algérie, Égypte et Cameroun– qui totalisent à eux seuls 25.999 demandes. Leur prédominance persistante, analysée à travers le prisme des motifs déclarés (tourisme, famille, santé, etc.), dessine une cartographie précise des mobilités contemporaines entre l’Afrique et la Belgique.
Précisons que ces statistiques contiennent les données relatives aux demandes de visa introduites auprès des ambassades et des consulats de Belgique à l’étranger pour un déplacement vers la Belgique, et auprès des postes belges aux frontières extérieures de l’espace Schengen.
Ces chiffres ne reflètent pas uniquement des flux administratifs mais incarnent des réalités humaines complexes: histoires de familles transcontinentales, quête d’opportunités économiques et révélations de vulnérabilités systémiques dans les pays d’origine.
Maroc: primauté des liens familiaux
Avec 8.388 demandes de visa C au premier semestre 2025, le Maroc se positionne comme le premier demandeur africain auprès des autorités belges. Sa singularité réside dans l’écrasante dominance des visites familiales, qui représentent 5.268 requêtes (soit 62,8% du total marocain), loin devant le tourisme (1.162) ou les voyages professionnels (420).
Une centralité familiale qui reflète une diaspora marocaine historiquement ancrée en Belgique. Ainsi, ces visites répondent à un impératif de maintien des liens transnationaux, surtout dans un contexte où les politiques de regroupement familial se durcissent.
Parallèlement, l’économie belge tire indirectement profit de ces flux. Les transferts financiers de la diaspora vers le Maroc stimulent un «tourisme de retour»– permettant à des résidents belges d’origine marocaine de financer des séjours de proches – bien que ce motif reste marginal dans les statistiques officielles.
Rappelons que la Belgique est reconnue comme l’un des pays européens importants d’accueil de la diaspora marocaine, notamment après la France et l’Espagne. En 2024, les transferts financiers totaux des Marocains résidant à l’étranger (MRE), incluant l’ensemble de la diaspora dans divers pays comme la France, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Amérique du Nord, et d’autres, ont atteint un niveau record de 117,7 milliards de dirhams marocains, soit environ 11,4 milliards d’euros, en hausse de 2,1% par rapport à 2023.
Une réalité qui souligne le rôle des diasporas comme ponts socio-économiques, mais aussi leur dépendance à des politiques migratoires de plus en plus restrictives.
Les demandes de visa depuis la RDC pour motif touristique sont paradoxalement portée par une élite congolaise cherchant l'accès aux services européens.. le360 Afrique/Christian
RDC: le tourisme avant tout
Avec 6.433 demandes de visa C, la République démocratique du Congo se distingue par un phénomène inattendu: la prédominance écrasante du voyage touristique comme motif déclaré, représentant 4.346 requêtes (soit 67,5% du total congolais), dépassant largement la visite familiale (668 demandes). Cette tendance surprend dans un pays où moins de 2% de la population appartient à la classe moyenne selon les standards internationaux.
Selon un rapport exhaustif publié en novembre 2024 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la taille de la classe moyenne en République Démocratique du Congo (RDC) est extrêmement faible. En se basant sur des critères économiques relatifs à la distribution des revenus ou de la consommation, il est estimé que la classe moyenne ne représente qu’environ 1,93% de la population totale du pays.
Cette estimation est valable aussi bien au niveau national que provincial et quel que soit le mode de définition utilisé. En complément, une «classe transitoire» entre les pauvres et la classe moyenne, représentant environ 6,4% de la population, a aussi été identifiée.
C’est le lieu de souligner que cette prédominance du voyage touristique comme motif déclaré masque souvent des stratégies de diversification migratoire. La faiblesse chronique des infrastructures médicales et éducatives pousse une élite économique et politique à utiliser le visa touristique comme sésame pour accéder à des services essentiels en Europe.
Par ailleurs, la marginalité des motifs professionnels (seulement 204 demandes) révèle un contraste saisissant avec le potentiel économique de la RDC– premier producteur mondial de cobalt– et souligne les limites persistantes des investissements belges dans ce partenaire historique, pourtant considéré comme clé pour l’approvisionnement en minerais stratégiques. Cette distorsion statistique illustre comment les vulnérabilités structurelles transforment le visa touristique en outil de survie pour les élites africaines.
Algérie: santé et famille, duo stratégique
L’Algérie, avec 4.221 demandes de visa, présente un profil migratoire où la visite familiale (1.499 requêtes) et le tourisme (1.464) se partagent près de 70% des motifs, mais révèle surtout une spécificité préoccupante. Les raisons médicales représentent 462 demandes (soit 11% du total algérien), proportion inédite parmi les cinq pays les plus demandeurs de visa Belge.
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Le volet familial, quant à lui, s’explique par une diaspora dynamique dont l’intégration dans le tissu entrepreneurial (commerce, restauration) se reflète dans les 283 voyages professionnels recensés.
Selon les données disponibles, la population algérienne en Belgique est estimée à environ 70.000 personnes, répartis principalement à Bruxelles et dans plusieurs grandes villes belges telles que Charleroi, Anvers, Gand, Namur, Mons et Liège. Un chiffre qui fait des Algériens le deuxième groupe maghrébin en Belgique après les Marocains.
Égypte: le tourisme, moteur unique
L’Égypte se démarque avec 3.949 demandes de visa par une concentration exceptionnelle sur le voyage touristique : 2.934 requêtes (soit 74,3% du total égyptien), éclipsant les motifs professionnels (472) et d’affaires (170).
La demande de visa quasi-exclusive pour des motifs touristiques révèle une mobilité de confort plutôt que de nécessité. Une focalisation touristique qui trahit une économie égyptienne où seule une bourgeoisie urbaine dispose du pouvoir d’achat pour des déplacements internationaux. Cette demande reste, toutefois, vulnérable aux secousses géopolitiques régionales– instabilité libyenne ou tensions au Soudan– qui dépriment régulièrement les revenus domestiques.
L’absence notable de visites familiales (147 demandes seulement) confirme par ailleurs un ancrage diasporique ténu en Belgique, contrastant avec les réseaux marocains ou algériens.
Cameroun: l’appel discret des affaires
Avec 3.008 demandes, les Camerounais articulent leur mobilité autour de la visite familiale (1.296 requêtes, 43,1%) et du tourisme (790), mais révèle une singularité stratégique. Les voyages d’affaires y atteignent 246 demandes (soit 8,2%), la proportion la plus élevée des cinq pays.
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Des flux d’affaires qui sont l’indicateur d’un partenariat économique sous-exploité. La Belgique y développe des relais ciblés dans l’agroalimentaire – via l’import de cacao et de café – et la logistique portuaire, notamment à Douala, porte d’entrée de l’Afrique centrale.
Les «autres motifs» incluent par ailleurs des manifestations culturelles non quantifiées dans le rapport, signalant des échanges artistiques croissants – domaine où le Cameroun excelle grâce à sa scène musicale et littéraire dynamique. Cette dualité entre affaires et culture dessine une diplomatie économique émergente, bien que freinée par la modestie des volumes globaux.
Comparaison des motifs déclarés de demande de visa
La comparaison des motifs déclarés par les cinq principaux demandeurs africains révèle des dynamiques de développement contrastées. La visite familiale, structurante au Maroc (62,8%) et au Cameroun (43,1%), agit comme un marqueur de diasporas consolidées, transformant la mobilité en mécanisme de maintien des liens transnationaux.
À l’inverse, le tourisme domine en RDC (67,5%) et en Égypte (74,3%), reflétant moins un essor récréatif qu’une aspiration à accéder à des services (santé, éducation) ou fuir des instabilités locales – paradoxe criant dans des économies où la classe moyenne reste étroite.
La spécificité algérienne des raisons médicales (11%) fonctionne comme un miroir des lacunes sanitaires structurelles, transformant la Belgique en destination palliative.
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Enfin, la marginalité persistante des voyages professionnels et d’affaires (inférieur ou égale à 16% du total) signale la faiblesse des mobilités économiques organisées, perpétuant des déséquilibres Nord-Sud tout en privant les entreprises belges de relais de croissance.
Ainsi, au moins deux implications majeures émergent de cette analyse. Sur le plan économique, le tourisme (RDC, Égypte) et les soins médicaux (Algérie) génèrent des revenus pour la Belgique, mais renforcent des dépendances asymétriques : transferts de capitaux sud-nord et externalisation de services essentiels, minant les efforts de développement local.
Sur le plan politique, la concentration des motifs familiaux (Maroc, Cameroun) exige une fluidification urgente des canaux légaux pour désengorger les consulats- sous peine de voir ces demandes dériver vers l’irrégularité.
Le Top 5 des pays africains demandeurs de visas belges (S1 2025)
Pays | Demandes visa (S1 2025) | Motif principal (% du total national) | Autres motifs significatifs | Particularités |
---|---|---|---|---|
Maroc | 8 388 | Visite familiale (62,8%) | Tourisme (13,8%), Professionnel (5%) | Diaspora historique ancrée en Belgique |
RDC | 6 433 | Tourisme (67,5%) | Visite familiale (10,4%), Professionnel (3,2%) | Paradoxe d’une forte demande touristique malgré une classe moyenne < 2% ; stratégie d’accès aux services. |
Algérie | 4 221 | Visite familiale (35,5%) + Tourisme (34,7%) | Santé (11%), Professionnel (6,7%) | Motifs médicaux proportionnellement élevés. |
Égypte | 3 949 | Tourisme (74,3%) | Professionnel (12%), Affaires (4,3%) | Mobilité de confort d’une bourgeoisie urbaine ; ancrage faible de la diaspora. |
Cameroun | 3 008 | Visite familiale (43,1%) | Tourisme (26,3%), Affaires (8,2%) | Part élevée des voyages d’affaires ; échanges culturels émergents. |
Source: Direction générale de l’Office Belge des étrangers.