La Tunisie devrait être dotée d’une nouvelle Constitution aux termes d’un référendum prévu le lundi 25 juillet 2022. En attendant que le peuple accepte ou rejette cette mouture qui a été publiée dans la soirée du jeudi 30 juin 2022, l’élément fondamental reste que le président Kaïs Saïed, un constitutionnaliste, s’est taillé une Constitution qui lui offre des pouvoirs très élargis.
L’article 87 stipule que «le président de la République exerce la fonction exécutive avec le concours d’un gouvernement dirigé par un Premier ministre». Et selon l’article 100 de cette nouvelle Constitution, «le président de la République fixe la politique générale de l’Etat, définit ses choix fondamentaux et en informe l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil national des régions et des localités». En clair, le Parlement n’est qu’informé de la politique générale de l’Etat.
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En outre, le président nomme le chef du gouvernement, ainsi que le reste de ses membres sur proposition du Premier ministre et met fin aux fonctions du gouvernement ou d’un membre de celui-ci de façon régalienne et de plein droit ou sur proposition du chef du gouvernement. Seulement, la confiance peut être retirée à tout moment au chef du gouvernement par le Parlement. En clair, le Président reste le principal chef de l’exécutif.
Du côté du législatif, si la nouvelle Constitution met l’accent sur la séparation des pouvoirs, on voit clairement que le bras de fer entre l’exécutif et le législatif durant ces derniers mois a pesé sur la fonction du parlementaire tunisien. Au-delà de l’adoption d’un système bicaméral -Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le Conseil national de régions et des localités-, ce qui est notable est que les futurs députés ne bénéficieront plus vraiment d’immunité comme auparavant. Et pour cause, l’article 66, consacré au pouvoir législatif, fait référence au fait qu’un représentant ne bénéficie pas de l’immunité parlementaire pour divers délits: «injure», «diffamation» et «échanges violents» commis au sein du Parlement. Et c’est l’expression «échanges violents» qui pose problème.
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Certes, le Parlement tunisien a été marqué au cours de ces dernières législatives par de nombreux actes violents qui ont porté préjudice à l’image de l’institution, mais il n’en demeure pas moins que l’expression «échanges violents» peut être sujets à moult interprétations.
Outre le fait que le pouvoir du Parlement est réduit par la mise en place d’une seconde chambre, le chef de l’Etat, qui définit la politique générale de l’Etat et entérine les lois, peut aussi soumettre des textes législatifs au Parlement. Et dans ce cadre, les députés doivent les examiner «en priorité».
Quant au pouvoir judiciaire, le fait même d’avoir remplacé le qualificatif «pouvoir judiciaire» par celui de «fonction judiciaire» en dit long sur le pouvoir qu’aura la justice.
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Les pouvoirs du président sont donc renforcés dans cette nouvelle Constitution au détriment des pouvoirs judiciaires et législatifs. Si certains y voient un moyen de limiter les conflits au sommet de l’Etat entre le Président et le chef du gouvernement, d’une part, et le Président et le Parlement, d’autre part, beaucoup y voient un recul démocratique notable avec une Constitution que le Président s’est taillé à partir des conflits qui l’ont opposé avec ses chefs de gouvernement et le président du Parlement dissout.
Et selon le directeur de la Commission internationale de juristes, Said Benarbia, le projet de Constitution «bafoue l’idée de séparation des pouvoirs», en mettant en place «un système présidentiel sans contre-pouvoirs avec un président omnipotent, un Parlement impuissant et une justice inoffensive».
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Par ailleurs, concernant le référentiel à l’islam qui a fait couler tant d’encre et de salive, si l’islam en tant que «religion d’Etat» est supprimé, l’article 5 du préambule de la nouvelle Constitution stipule que «la Tunisie fait partie de la nation islamique, et l’Etat seul doit œuvrer pour atteindre les objectifs de l’islam pur». Cette entourloupe donnera le tournis aux membres de la Cour constitutionnelle une fois celle-ci mise en place.
Désormais, la balle est dans le camp des citoyens tunisiens appelés à valider ou non ce projet constitutionnel. Certains partis politiques opposés à cette mouture ayant appelé au boycott, il est très probable que la nouvelle Constitution passe et que Saïed devienne un hyper-président, comme ce fut le cas durant ces derniers mois au cours desquels il s’est arrogé les pleins pouvoirs en limogeant son chef de gouvernement, en suspendant le Parlement et en dissolvant le Conseil supérieur de la magistrature. C'est peut-être le prix à payer pour une plus grande stabilité politique en Tunisie après une décennie d’instabilité qui a gravement impacté l’économie et la société tunisiennes.