Annoncée par les dirigeants de Sontarach comme l'affaire du millénaire pour résoudre le déficit algérien en hydrocarbures raffinés, la raffinerie située d'Augusta risque d'être le pire gouffre financier de la compagnie pétrolière algérienne. Deux éminents experts, dont un ex-directeur de Schlumberger Nord Africa, affirment dans des sorties différentes que la Sonatrach se fera avoir si elle va jusqu'au bout de la transaction. Car, l'acquisition sera définitivement bouclée vers la fin 2018. D'ici là, il est encore possible de faire machine arrière, mais les dirigeants de l'entreprise publique sont en train de foncer la tête la première.
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C'est une attitude que ne comprend pas Ferhat Aït Ali, jamais avare de critiques, et toujours à prêt à dénoncer l'incompétence des dirigeants de son pays. "Pour lancer un poulailler en Algérie, il faut un actif et un passif prévisionnels. Alors pour une raffinerie outremer, c’est un peu plus complexe et détaillé que les données qui ont été rendues publiques par Sonatrach", prévient-il d'entrée de jeu. Il met en pièces l'argument selon lequel, l'acquisition de cette raffinerie située outre-Méditerranée a pour but de réduire les importations de produits raffinés. Car, de toute évidence, l'Algérie importera, après sous-traitance, la valeur ajoutée produite en Italie. Laquelle valeur ajoutée aura alors servi à payer des salaires à un personnel italien, mais aussi des impôts et des taxes à l'Etat italien.
Au final, selon l'expert algérien, il ne restera à la Sonatrach qu'un petit dollar de marge par baril raffiné. Si les cours du pétrole retombent à 50 dollars, la marge pourrait peut-être remonter à 2 dollars/baril, mais dans ce cas, l'Algérie sera perdante dans l'exportation de brut.
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Il ajoute qu'au-delà de cet aspect financier, il faut craindre le volet écologique. Une raffinerie construite dans les années 1940 et qui n'a pas connu d'investissement durant les 10 dernières années ne peut être à jour en matière de normes environnementales. Or, rien n'est dit par la Sonatrach sur le passif écologique de ces installations vétustes. Donc le prix d'acquisition de 700 millions de dollars peut paraître, a priori, une bonne affaire, mais il cache le coût écologique énorme à supporter.
D'ailleurs, "le 21 juillet 2017, le Parquet de Syracuse a procédé à la fermeture partielle du site, avec injonction de présenter un plan de limitation des émanations toxiques de la raffinerie, soit des sorties de produits gazeux soit de cuves en mauvais état, sous 90 jours, et une mise en œuvre du plan en question avec un délai de 12 mois. Et comme Exxon a répondu le 17 septembre 2017 au lieu du 21 octobre, ce délai arrive à son terme le 17 septembre prochain, et on verra bien d’ici là ce qui va se passer", explique Ferhat Aït Ali.
Pour terminer, il explique que si la raffinerie italienne était une bonne affaire, l'américain Exxon Mobil ne l'aurait jamais cédée pour aller investir 12 milliards de dollars en Arabie saoudite. Une simple question de bon sens, après tout. De plus, cela fait des années qu'Exxon Mobil cherche à se débarrasser de cette raffinerie sans trouver preneur. Juste avant que la Sonatrach ne se fasse avoir, la rumeur avait couru que deux autres compagnies étaient intéressées, mais au final, elles ne se sont pas manifestées. Ce qui ne fait que renforcer les soupçons d'arnaque.
Quant à Houcine-Nasser Bouabsa, ex-PDG de Schlumberger, le spécialiste des plateformes et des raffineries de pétrole, cette décision est une pure hérésie pour une infinité de raisons. Si Exxon n'a pas réussi à vendre sa raffinerie d'Augusta, c'est parce qu'il y a, en Europe, une surcapacité, alors que la demande de carburants stagne. Il reprend également à son compte, la vétusté de la raffinerie construite en 1949. La région sicilienne où elle se trouve "est un no-go pour les investisseurs, puisque très polluée, donc à éviter. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics italiens s’attèlent, d’ailleurs, à réduire la concentration des industries pétrochimiques et mettent la pression sur les propriétaires des usines", souligne-t-il.
De plus, il y a des ramifications entre la mafia et les syndicats qui créent un facteur de surcoût non négligeable. Enfin, les acteurs majeurs du raffinage, comme Total ou Exxon Mobil, ont décidé de délocaliser leur activité hors de l'Europe.
"En prenant en considération tous ces paramètres, il est très probable qu’ExxonMobil soit prêt à offrir gratuitement le site à tout preneur sérieux qui prendrait aussi le passif lourd et incertain des conséquences de la pollution de l’environnement. Déclarer dans ce contexte que Sonatrach a réalisé l’affaire du siècle est plus qu’une aberration. C’est un mensonge", tranche-t-il.
Toujours selon lui, le PDG de la Sonatrach est allé trop vite en besogne, et cela pose question, car dans ce genre d'affaires, l'acheteur a tendance faire durer les négociations afin de tirer le meilleur parti des syndicats, de l'Etat et du vendeur. "Des sources affirment même que la partie algérienne était tellement pressée que la maire d’Augusta a publiquement exprimé sa surprise et sa consternation concernant la légèreté des négociateurs de Sonatrach.", explique l'ex-PDG de Schlumberger.
Pour lui, l'argument de sécurisation des approvisionnements est fallacieux, puisqu'en période de conflit, une raffinerie située sur le territoire algérien sécurisera davantage les approvisionnements qu'une autre en Italie. De plus, l'Algérie a perdu une belle opportunité de création d'emplois et de collecte d'impôts sur des opérations de production en partie destinées aux exportations.