Chaque fois que Abdelaziz Bouteflika a été confronté à la contestation populaire, qu'il a senti son pouvoir chanceler, il a eu recours aux augmentations de salaire pour obtenir la paix sociale. Abdelmadjid Tebboune, son successeur, semble suivre son exemple.
Face à la plus grave crise économique et financière jamais traversée par le pays, le président algérien vient d’annoncer deux décisions qui défient le bon sens. D’une part, il annonce une augmentation des salaires et, de l’autre, il refuse catégoriquement l’endettement extérieur. Deux mesures qui finiront de sonner le glas d'une économie déjà à l’agonie.
A l’occasion de la fête du Travail, alors que les caisses de l’Etat sont vides et que le secteur privé est asphyxié, Tebboune offre en cadeau aux syndicats une augmentation de 11,11% du salaire minimum. Ce dernier passe de 18.000 à 20.000 dinars. Evidemment, chaque fois qu’une hausse du Smic est annoncée, il faut y voir une augmentation généralisée des salaires dans des proportions variables.
Lire aussi : Algérie: le gouvernement réduit de 50% le budget de fonctionnement de l'Etat
Il s’agit d’une décision anachronique qui contraste avec la baisse de 50% annoncée en 2020 du budget de fonctionnement de l’Etat algérien. Comment, dans ce cas, les salaires pourront-ils être augmentés de 11,11%, alors qu’ils constituent la plus grosse part de ce même budget de "l’Etat et des institutions y afférant", comme l’a si bien indiqué le communiqué du Conseil des ministres?
Or, avant même cette année 2020 qui s’annonce catastrophique, l’Etat algérien se dirigeait irrémédiablement vers la faillite. Pour cause, les recettes fiscales du pétrole n’allaient être que de 17 milliards de dollars si le pétrole était autour de 60 dollars, alors que la masse salariale atteignait déjà 22,58 milliards de dollars.
A présent que le baril de Brent est autour de 25 dollars, c’est se tirer une balle dans le pied que de vouloir augmenter les salaires.
Abdelmadjid Tebboune est en train d’appliquer aveuglément les vieilles recettes d’Abdelaziz Bouteflika. Il gagnerait à se rendre compte que les contextes sont très différents. En effet, quand son prédécesseur augmentait les salaires entre 2010 et 2012 en plein printemps arabe, les caisses de l’Etat refusaient des pétrodollars.
Le baril était resté sur un cours moyen autour de 100 dollars. Les excédents des revenus du pétrole sur les dépenses du budget avaient permis de doter le Fonds de régulation des recettes (FRR) d’un butin de guerre de 7.917 milliards de dinars, soit l’équivalent de 61,65 milliards de dollars, en 2013.
Lire aussi : Algérie: la Banque centrale demande aux banques d'ouvrir les vannes pour sauver l'économie
Un peu de sagesse aurait sûrement permis à Tebboune de se rendre compte que si Bouteflika a été emporté par la déferlante populaire de février 2019, c’est parce que justement il n’avait plus les moyens de calmer la contestation à coup d’augmentations de salaire. Car, le FRR avait fondu comme neige au soleil, passant à 4.408 milliards de dinars dès 2014, puis à 2.075 milliards en 2015 avant d’être complètement vide début 2017. C’est pourquoi, pour défendre le projet d'un 5e mandat, la recette ne fonctionnait déjà plus.
L’autre décision annoncée, celle de refuser le financement international, relève à la fois d’une absence de vision et d’un entêtement idéologique d’une autre époque. L’argument avancé par le président algérien est que "l’endettement porte atteinte à la souveraineté nationale". Et d’ajouter : "je préfère emprunter auprès des Algériens que d’aller vers le FMI ou d’autres banques étrangères".
Le président algérien estime qu’avec des réserves de change se situant autour de 50 milliards de dollars, il n’a pas à s’inquiéter du financement de ses importations. Pourtant, ce matelas financier, qu’il considère encore comme très confortable, était de 194 milliards de dollars en 2013. C’est-à-dire qu’à l’image du FRR, il a également fondu au cours de ses dernières années, dans une implacable tendance baissière.
Lire aussi : Algérie: le baril de pétrole désormais vendu à perte
Aux actuels cours du pétrole, les réserves ne seront plus que de 44,2 milliards de dollars en fin d’année, d’après la Loi de finances complémentaire qui sera présentée le 11 mai courant, soit 18 milliards de dollars de moins qu’à la fin de 2019.
Si cette baisse se poursuit, avant l’arrivée à échéance du mandat présidentiel, l’Algérie, qui importe tous les biens nécessaires à sa survie, sera bien obligée de recourir à la dette extérieure. Car pour acheter le blé, le sucre, les hydrocarbures dont il a besoin, les devises étrangères fortes lui sont indispensables.
Or, plus les réserves de change seront faibles, plus son pouvoir de négociation auprès des bailleurs de fonds internationaux s’amenuise. Cette absence de vision risque de mener son pays droit dans le mur.