Depuis 2017, de nombreux dinosaures politiques africains ont quitté le pouvoir. Parmi ceux-ci, des dirigeants qu’on croyait indéboulonnables.
Toutefois, les crises économiques et sociales, la corruption et le népotisme ont fini par pousser les populations à se soulever et chasser les dictateurs qui n’ont pas vu ou voulu voir les contestations venir. C’est le cas notamment pour Mugabe (Zimbabwe), Jammeh (Gambie), Bouteflika (Algérie), el-Béchir (Soudan). Eduardo dos Santos (Angola) a su quitter «à temps» et Joseph Kabila a fini par céder le pouvoir après avoir tenté de s'y éterniser en changeant la constitution.
Retour sur les chutes de dinosaures politiques qui ont fini, malgré eux, par quitter le pouvoir.
Zimbabwe, Robert Mugabe, son passé de héros national l’a sauvé
Robert Mugabe aimait à prophétiser qu’il sera au pouvoir jusqu’à la mort ou jusqu’à 100 ans. Au pouvoir depuis l’indépendance du Zimbabwe en 1980 –Premier ministre puis président-, après 37 ans de règne sans partage, réprimant toute voix dissonante, malade, le vieux a poussé le bouchon trop loin en voulant faire en sorte que sa succession soit assurée par sa femme, Grace Mugabe, au détriment de la vieille garde des guérilleros, suscitant des mécontentements au sein du parti au pouvoir, la ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique.
Du coup, ce sont des milliers de Zimbabwéens qui ont fini par demander son départ. L’armée a aussi appuyé les manifestants. Le 15 novembre 2017, le pays se réveille avec des militaires à sa tête et le vieux Mugabe, mis devant le fait accompli, accepte, la mort dans l’âme de signer sa démission le mardi 21 novembre, ouvrant ainsi une succession au profit de l’ex-numéro deux du régime, Emmerson Mnangagwa.
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Mugabe, né le 21 février 1924, quitte le pouvoir le 21 novembre 2017 sous la menace d’une procédure de destitution lancée au Parlement par ses partisans. A 93 ans, il détenait le titre du plus vieux président en exercice dans le monde.
Il laisse derrière lui un pays marqué par une crise multidimensionnelle: hyperinflation à cause du recours à la planche à billets, taux de chômage de plus de 90%, corruption endémique au sommet de l’Etat et un taux de pauvreté atteignant 72% de la population.
Avant son départ, le «Camarade Bob» a négocié une retraite dorée: 10 millions de dollars, immunité contre toutes poursuites judiciaires et assurance de garder ses biens, etc.
Soudan: après 30 ans au pouvoir, el-Béchir balayé par le… pain
Après 30 ans de pouvoir sans partage, Omar el-Béchir a été destitué le 11 avril 2019 par l’armée, qui a fini par se débarrasser de lui après environ 4 mois de contestations diffuses et 6 jours et nuits de pression populaire directe sur le quartier général de l’armée.
A l’origine de cette contestation, l’application en 2018 d’un plan d’austérité du Fonds monétaire international (FMI) qui s’est matérialisé par le transfert de certains secteurs des importations au secteur privé. Du coup, le prix du pain double et celui de l’essence augmente de 30%. Conséquence, l’inflation a atteint les 40%.
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Cette décision d’augmenter le prix du pain a irrité la population. Face à cette situation, les étudiants et le Parti communiste soudanais protestent contre cette politique. Le gouvernement a alors opté pour la répression pour éviter la réédition des manifestations sanglantes de 2013.
Toutefois, depuis décembre 2018, le pays connaît le mouvement de contestation le plus important de son histoire avec comme revendication principale une amélioration des conditions de vie des populations.
Cette contestation a fini par emporter le président el-Béchir qui est désormais détenu par l’armée. Une armée qui tente de mettre en place une transition que le peuple est loin de cautionner. En effet, les meneurs de la contestation au Soudan ont rejeté le coup d’Etat de l’armée qui a destitué le président el-Béchir pour le remplacer par un «Conseil militaire de transition». «Le régime a mené un coup d’Etat militaire en présentant encore les même visages (…) contre lesquels notre peuple s’est élevé», ont souligné les membres de l’Alliance pour la liberté et le changement.
Le Conseil militaire promet un gouvernement civil en assurant que les militaires n’interviendront pas dans sa composition.
Algérie: le 5e mandat de trop pour Bouteflika
A 82 ans, et après 20 ans de pouvoir, Abdelaziz Bouteflika est poussé à la démission le 2 avril 2019 après des semaines de manifestations populaires. Cette démission est le résultat d’une contestation populaire de plusieurs semaines, consécutive à la volonté d’Abdelaziz Bouteflika de briguer un 5e mandat présidentiel, malgré de graves problèmes de santé et des hospitalisations à répétition, à la tête d’un pays rongé par la corruption, le clientélisme, la crise économique consécutive à la chute des cours du baril de pétrole, les tensions sociales, le chômage des jeunes, etc.
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N’empêche, le 10 février, Bouteflika, absent de la scène publique depuis 2013, annonce officiellement sa candidature pour un 5e mandat. Une annonce de trop pour les Algériens. Bouteflika, victime d’un AVC en 2013, est incapable de s’exprimer publiquement et séjourne fréquemment à l’étranger pour se soigner.
Du coup, dès le vendredi 22 février, des centaines de milliers d’Algériens ont manifesté dans les grandes villes pour s’opposer au 5e mandat du président et exprimer leur ras-le-bol face à cette aberration consistant à maintenir Bouteflika au pouvoir.
Après 6 vendredi de contestations prenant de plus en plus d’ampleur, Bouteflika a fini par renoncer au 5e mandat. Toutefois, le peuple a maintenu sa pression pour son départ et celui de tout son système. Il a fini par être lâché par les militaires qui l’ont poussé à la démission.
Abdelaziz Bouteflika, né le 2 mars 1937, a dirigé l’Algérie du 15 avril 1999 au 2 avril 2019. C’est le président du Sénat Abdelkader Bensalah, un homme de 77 ans et pur produit du système, qui assure la présidence par intérim. Toutefois, le peuple algérien poursuit ses manifestations dans le but de faire partir le système qui gouverne l’Algérie depuis l’indépendance.
Gambie: Yayah Jammeh, les urnes chassent le dictateur et le poussent à l’exil
Yahya Jammeh, arrivé au pouvoir le 22 juillet 1994 à la faveur d’un coup d’Etat, a été finalement chassé du pouvoir le 21 janvier 2017 lorsqu’il s’est présenté à un 5e mandat présidentiel.
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Après s’être maintenu au pouvoir à la faveur d’élections non transparentes, Yahya Jammeh, qui a fini par écarter tous ses principaux rivaux politiques, a été finalement battu par un novice en politique, Adama Barrow, lors de l’élection présidentielle de novembre 2016, durant laquelle les bulletins de vote ont été remplacés par des billes.
Toutefois, après avoir félicité, dans un premier temps, le vainqueur, Jammeh finit par contester la victoire de l’opposition, proclamer l’état d’urgence et obtenir du parlement une prolongation de son mandat par l’Assemblée nationale pour 3 autres mois.
Toutefois, face à la pression internationale, particulièrement de la CEDEAO et surtout du Sénégal, il a fini par quitter le pouvoir le 21 janvier et s’exiler en Guinée équatoriale. Les autorités équato-guinéennes ont promis de ne pas le livrer à une quelconque juridiction. Jammeh s’est installé dans une ferme dans le fief du président Obiang Nguema.
S’il a pu négocier un droit de revenir en Gambie et la propriété de ses biens, Jammeh n’a pas obtenu des nouveaux dirigeants une amnistie. Outre les multiples crimes dont il est soupçonné, Jammeh aurait profité du chaos de fin de règne pour emporter avec lui 11 millions de dollars soutirés des caisses de l’Etat.
Angola: Dos Santos, il a su partir «à temps»!
Après 38 ans au pouvoir, José Eduardo dos Santos qui a régné en maître absolu sur l’Angola, a su partir «à temps» en évitant d’être poussé de force par le peuple et ses propres partisans.
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Agé et malade, il n’a pas sollicité en 2016 le renouvellement de son mandat à la tête de son parti et donc à la tête de l’Etat. Il a su passer le flambeau à un dauphin, qui n’est pas membre de sa famille, Joao Manuel Gonçalves Lourenço, son ancien ministre de la Défense.
Lorsqu’il quittait le pouvoir en 2017, Dos Santos détenait le titre du doyen des chefs d’Etat africain en activité (38 ans de règne).
Eduardo Santos, ancien rebelle marxiste, a régné d’une main de fer sur l’Angla de 1979 à 2017. Durant ce long règne, la famille Dos Santos a accumulé d’énormes fortunes. Elle est considérée comme la famille la plus riche du continent avec des investissements dans les banques et les entreprises en Afrique et en Europe et dans les paradis fiscaux, alors que le tiers des Angolais vit avec moins d’un dollar par jour dans un pays qui regorge de pétrole.
Avant de céder le pouvoir à son dauphin, Dos Santos a fait voter une loi qui accorde aux anciens chefs d’Etat un certain nombre d’avantages: une pension équivalant à 90% de leur salaire, un chauffeur et des gardes du corps. En plus, cette loi prévoit que les ex-présidents ne peuvent être poursuivis que pour des actes étrangers à l’exercice de leurs fonctions. Bref, une loi taillée pour lui-même et qui le protège sur tous les plans.
Toutefois, ces départs de présidents qui se sont succédés au pouvoir des décennies sans partage ouvrent-ils des lendemains plus démocratiques en Afrique?
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Si c’est le cas, il sera difficile de battre le record absolu de longévité au pouvoir de l’ex-empereur d'Ethiopie, Haile Sélassié d’Ethiopie, qui détient un record de 44 ans de pouvoir absolu, devant Omar Bongo (42 ans) et Mouammar Kadhafi (41 ans). Une autre époque? Pas du tout. En effet, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale est au pouvoir depuis 1979, soit 40 ans de règne sans partage. Paul Biya, avec 37 ans au pouvoir au Cameroun et Yoweri Museveni, 33 ans en Ouganda, figurent désormais comme des symboles d’un manque d’ancrage démocratique en Afrique.
Il n’empêche que les départs de certains dinosaures politiques africains au cours de ces dernières années ont commencé à faire réfléchir certains dirigeants. C’est le cas de Joseph Kabila qui, après 18 ans de règne, s’est maintenu au pouvoir après l’expiration de son dernier mandat et a voulu s’éterniser au pouvoir en bafouant la constitution. Sous la pression nationale et internationale, il a finalement lâché les rênes en cédant sa place à un nouveau président élu.
Face à cette situation, et afin d’éviter que des dirigeants s’éternisent au pouvoir, dans de nombreux pays africains, la limitation du nombre de mandats est devenus une règle dans les constitutions. La limitation du nombre de mandats à deux contribue en effet à faciliter l’alternance démocratique. Ainsi, en Mauritanie, après avoir cultivé le flou, le président Mohamed ould Abdel Aziz a fini par abandonner toute option sur un 3e mandat après que l’opposition et une partie de l’armée lui ont intimé l'ordre de mettre fin à cette ambition afin d’éviter au pays une crise politique.
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Reste que cette règle des mandats limités est loin d’être généralisée au niveau du continent. Si c’est presque le cas dans tous les pays de l’Afrique de l’ouest, en Afrique centrale, rares sont les pays qui l’appliquent, sans compter les multiples modifications constitutionnelles qui déverrouillent certaines règles liées à la limitation du nombre des mandats.