Infrastructures: quand l’Afrique se crée une dépendance inquiétante vis-à-vis de la Chine

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Le 19/02/2017 à 14h40, mis à jour le 19/02/2017 à 16h15

De très nombreuses infrastructures sont réalisées en Afrique grâce à des financements chinois. Si ces projets permettent à de nombreux pays d’atténuer leur déficit infrastructurel, la dépendances des financement vis-à-vis de la Chine n’est pas pour autant sans risque.

Le Grand barrage de la Renaissance en Ethiopie -le plus grand d’Afrique-, le port en eau profonde de Kribi, le chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti, la réhabilitation du chemin de fer Dakar-Bamako, le futur grand port du centre en Algérie, le réseau de chemins de fer de l’Afrique de l’Est, les stades pour l’organisation des Coupes d’Afrique des nations en Angola, au Gabon et au Cameroun... La liste des projets infrastructurels de grande envergure en cours de réalisation en Afrique, et qui ont en commun d’être financés partiellement ou intégralement par la Chine, est très longue. Et ces infrastructures ont aussi en commun le fait d’être très capitalistiques et donc difficiles à réaliser par de nombreux pays du continent aux budgets trop dépendants des maigres recettes fiscales.

Seulement, il est admis par tous que les infrastructures jouent un rôle important dans la croissance des économies. Du coup, beaucoup estiment que la faiblesse des infrastructures est aujourd’hui le principal handicap au développement du continent.

Conscient que le déficit énorme en infrastructures obère les performances économiques, de nombreux pays du continent mettent aujourd’hui l’accent sur le développement des infrastructures de base: routes, autoroutes, ports, ponts, barrages hydroélectriques, chemin de fer, centrales électriques, aéroports, hôpitaux, etc.

C’est le cas notamment du Maroc qui s’est distingué au cours de ces 15 dernières années par la construction d’autoroutes, de ports, d’aéroports, de nouvelles lignes de chemin de fer (dont la ligne à grande vitesse), de centrales électriques, de plateformes logistiques, etc. Autant de projets qui ont permis au pays de rattraper son déficit en infrastructures et d’améliorer son attractivité.

L’Ethiopie aussi fait figure de pays engagé dans la réalisation d’infrastructures de base avec notamment la construction d’un des plus grands barrages hydroélectriques du continent, le barrage de la Renaissance, qui devrait être livré cette année et d’une puissance de 6.000 MW. S'y ajoute une ligne de chemin de fer de 740 km reliant le pays au port de Djibouti, contribuant ainsi à désenclaver le pays le plus dynamique du continent depuis plus d’une décennie, etc. Et ce sont presque tous les pays du continent qui sont engagés dans la réalisation d’infrastructures de base.

Des projets chinois partout

Seulement, si la volonté est là pour tous les pays en ce qui concerne la réalisation des infrastructures de base, les ressources financières font défaut, sachant que ces infrastructures sont globalement trop capitalistiques.

Le déficit est tel que, selon diverses sources dont la Banque mondiale, l’Afrique a besoin d’environ 100 milliards de dollars d’investissement par an sur plusieurs années pour résorber son gap en termes d’infrastructures. Et c’est là où le bât blesse. Les pays africains ne disposent pas de ressources financières nécessaires pour réaliser ces infrastructures. Certains y arrivent en recourant à plusieurs canaux de financement: budget (fiscalité), emprunt interne, emprunts externes, partenariat public-privé, aide publique au développement, etc.

Face à cette situation, la Chine constitue, pour presque tous les pays africains, la solution idoine. Celle-ci, disposant de réserves en devises colossales –plus de 3.000 milliards de dollars en 2016- et à la recherche de matières premières pour entretenir sa croissance et améliorer son positionnement à l’échelle africaine, joue le rôle de bras financier des grands projets d’infrastructures en Afrique.

Du coup, en listant les grands projets en cours de réalisation et/ou programmés au niveau des infrastructures à l'échelle du continent, on se rend compte de la prépondérance des financements chinois.

Tous les pays du continent concernés

A titre d’exemple, pour le grand barrage de la Renaissance en Ethiopie, la Chine va fournir 1,8 milliard de dollars pour garantir l’achat des turbines et des systèmes électriques. China Exim Bank va assurer le financement de l’extension du port de Kribi au Cameroun pour un montant de 675 millions de dollars, qui viennent s’ajouter aux 429 millions accordés pour la réalisation de la première phase (en 2011) de ce grand barrage, soit environ 1 milliard de dollars. De même, l’ambitieux projet de réseau ferroviaire de l’Afrique de l’Est devant relier le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et le Soudan du Sud, d’une coût global de 13,8 milliards de dollars, sera financé en grande partie par la Chine et exécuté par des entreprises chinoises.

Même les pays pétroliers, jadis disposant d'excédents à même de leur permettre d’assurer le financement des infrastructures de base recourent actuellement à la Chine, surtout depuis la baisse des cours du pétrole et donc des recettes pétrolières. Ainsi, le futur grand port du centre de l'Algérie, d’un coût de financement de 3,3 milliards de dollars, sera réalisé dans le cadre d’un crédit chinois à long terme et sera construit par deux compagnies chinoises China state construction corporation (CSCEC) et China harbour engineering company (CHEC).

Tout dernièrement, en janvier dernier, la Chine a décidé d’injecter 40 milliards de dollars dans l’économie nigériane, selon le ministre des Affaires étrangères chinois en visite officielle au Nigeria. Les infrastructures y occupent une place prépondérante. Ainsi, en février dernier, le Nigeria a obtenu un prêt de 7,5 milliards de dollars de la Chine pour la réalisation du chemin de fer Lagos-Kano qui sera réalisé par China railway construction corporation (CRCC). 

Ainsi, les projets financés et réalisés par la Chine sont nombreux et concernent presque tous les pays du continent, même si on note une prépondérance des subsides au profit des pays anglophones: Kenya, Nigeria, Ghana, Egypte, Afrique du Sud, Tanzanie, etc.

Toutefois, de plus en plus de pays francophones recourent à la Chine pour financer leurs infrastructures de base. C’est le cas notamment de ceux jugés comme étant très proches de la France dont le Congo Brazzaville, le Gabon, le Cameroun, le Sénégal, la Côte d’Ivoire. Ainsi, pour le Sénégal, la Chine est l’un des premiers financiers du Plan Sénégal émergent avec plus de 20% du montant des accords signés. La Chine finance les infrastructures routières et ferroviaires du PSE. Parmi ces projets figurent la réhabilitation du chemin de fer Dakar-Bamako, le projet intégré mines-rail-port minéralier de Bargny d’un coût de 2,6 milliards de dollars, etc. De même, les autoroutes Diamniadio-Thiès-Touba et Thiès-Touba sont réalisées par l’entreprise chinoise China road and bridge corporation, China Harbour engineering company (CHEC) se chargera, elle, de la réalisation de l’extension du port de Kribi au Cameroun après en avoir réalisé la première tranche.

Conditions avantageuses

De même, la ligne ferroviaire devant relier Mombassa-Nairobi, au Kenya, sera réalisée par China Road and bridge corporation (CRBC) qui a réalisé l’extension du port de Mombassa, premier port sur l’océan indien.

Le recours au financement chinois présente pour les pays africains de nombreux avantages. D’abord, les financements chinois sont des financements d’Etat à Etat. Une situation relativement plus intéressante du fait qu’en cas de difficulté de remboursement, la Chine accorde plus facilement des rééchelonnements de dette à ses partenaires. C’est le cas de l’Angola qui a bénéficié d’un rééchelonnement de sa dette vis-à-vis de la Chine suite à la chute de ses recettes pétrolières qui l’ont entraîné dans une crise économique.

Ensuite, contrairement aux pays occidentaux, la Chine est moins regardante en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme et de l’environnement. Par ailleurs, pour de nombreux pays disposant des ressources naturelles (fer, bauxite, cuivre, etc.), la Chine n’hésite pas à recourir au troc avec la réalisation d’infrastructures de base (route, port, barrage hydroélectrique, etc.) en contrepartie de ressources naturelles. Ainsi, l’Angola, qui bénéficie des financements et des prêts chinois pour la réalisation de ses infrastructures (villes nouvelles, stades, routes, ports, etc.) a vu la Chine devenir le premier importateur de son pétrole brut. Entre 2010 et 2016, la Chine a acheté l’équivalent de 27 milliards de dollars de pétrole de l’Angola.

Dépendances inquiétantes

En outre, les conditions de financement chinois sont globalement plus favorables. Outre des taux d’intérêt très bas, les durées de remboursement sont globalement longues. A titre d’illustration, pour le financement de l’extension du port de Kribi en eau profonde, le financement chinois se compose d’un prêt concessionnel de 150 millions de dollars et d'un prêt préférentiel de 524,5 millions de dollars. Ce prêt d’une maturité de 20 ans, bénéficiant d’un différé de remboursement de 7 ans, est rémunéré à un taux d’intérêt annuel de 2%.

Dans ce partenariat, les pays africains ne sont pas les seuls à tirer profit de la situation. La Chine aussi en profite. En effet, en cas de financement de projets d’infrastructures, la Chine négocie aussi que lesdits projets soient exécutés par des entreprises chinoises et parfois même avec aussi de la main-d’œuvre chinoise. Ainsi, c’est China railways construction corporation (CRCC) qui réalise la réhabilitation du chemin de fer Dakar-Bamako.

Reste que cette forte dépendance des pays africains vis-à-vis de la Chine pour le financement des infrastructures de base n’est pas sans provoquer de l'inquiétude. Ces prêts sont à rembourser et constituent ainsi des fardeaux pour les générations futures. D’où l’intérêt de prioriser les financements des projets à rentabilité à long terme. A titre d’exemple, le Grand barrage de la Renaissance de l’Ethiopie pourrait, selon les estimations des experts, générer plus de 730 millions d’euros par an à l’Ethiopie grâce à l’exportation de l’électricité vers les pays voisins. Des exportations qui pourront rentabiliser ce projet dont le coût global est estimé à 4,8 milliards de dollars.

En outre, rien ne garantit la pérennité de cette source de financement. Le rythme de croissance de la Chine ralentit et le pays commence à voir ses réserves diminuer. En plus, cette dépendance limite les marges de manœuvre des pays endettés qui n’ont pas le choix dans l’octroi de la réalisation des projets du fait que le financement est toujours lié à l’exécution des projets par des entreprises chinoises.

Quelques exceptions, le cas marocain

Partant, les pays africains doivent, tout en comptant sur des financements externes, créer les conditions de financement des investissements avec des fonds internes basés sur les recettes fiscales qui sont moins risqués et plus pérennes pour financer le développement. C’est l’option adoptée par le Maroc avec des investissements publics en forte croissance supportant les investissements dans les infrastructures de base, tout en n’écartant pas le recours à l’endettement externe par les entreprises publiques (Autoroutes du Maroc, OCP, ODEP, etc.) envers divers pays (pays du Golfe, Union européenne, etc.) et institutions financières (BAD, BEI, BERD, etc.) à des conditions avantageuses.

D’autres formules de financement sont de plus en plus exploitées. C’est le cas notamment des Partenariats public-privé (PPP) qui permettent aux pays africains de bénéficier, outre des financements, de l’assistance technique nécessaire sur les projets d’infrastructures. Toutefois, ces PPP nécessitent la mise en place des cadres réglementaires adaptés et qui garantissent la transparence et la rentabilité aux investisseurs privés.

En outre, la réalisation de certains projets d’envergure peut aussi bénéficier d'un mode de financement particulier. A titre d’exemple, pour financer le Grand barrage de la Renaissance et face au refus de la Banque mondiale et d’autres institutions de financer le projet, pour des raisons géostratégiques et des impacts environnementaux non évalués, le gouvernement éthiopien a misé sur un mode de financement singulier combinant des collectes auprès des Ethiopiens: fiscalité, obligations d’Etat, emprunt bancaires et emprunt extérieur. Les aides octroyées par les Ethiopiens dont ceux de la diaspora ont permis de collecter plusieurs centaines de millions de dollars.

En clair, chaque pays doit opter pour le financement le plus adapté et durable pour réaliser ses infrastructures de base en essayant autant que possible de limiter la dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Par Moussa Diop
Le 19/02/2017 à 14h40, mis à jour le 19/02/2017 à 16h15