Le coronavirus a la manie de s'attaquer à l'appareil respiratoire des hommes, mais ne laissera pas non plus indemne le poumon économique de l'Algérie. La Sonatrach va indubitablement subir un effet ciseau dû à la baisse de ses revenus, alors que ses charges d'exploitation atteignent des sommets du fait de son effectif pléthorique, mais aussi d'une générosité aveugle au début de la décennie précédente.
En fin 2019, les 154 filiales de la compagnie pétrolière nationale algérienne employaient plus de 200.000 collaborateurs. Les comptes consolidés du groupe auxquels le360 Afrique a pu avoir accès laissent apparaître une masse salariale de 321 milliards de dinars en 2018, soit quelque 2,5 milliards de dollars environ. Ce montant est aussi le résultat d'une politique sociale qui a permis au régime de Abdelaziz Bouteflika de se maintenir, notamment au début de la décennie 2010 quand les voisins de l'est de l'Algérie, à savoir la Libye et la Tunisie, ont été secoué par le printemps arabe.
Lire aussi : Algérie: faute d'entretien, la Sonatrach n'a plus assez d'unités de stockage
Ainsi, en 2010 il y a eu une petite augmentation de 15% qui était justifiée par le coût de la vie. Mais, dès que les régimes de Zine el Abidine Ben Ali et Mouamar Khadhafi ont chuté, le pétrolier algérien a eu peur pour Bouteflika et a accordé des hausses de salaires pour calmer la grogne. Ainsi, en 2011 les rémunérations feront un bond de 21%, puis en 2012 la hausse sera de 52,2%, sans compter les recrutements imposés à la compagnie pour résorber le chômage. En somme, en moins de trois ans, la masse salariale fera plus que doubler. Pire tout au long de la décennie, cette tendance se poursuivra, toujours pour que Bouteflika se maintienne au pouvoir.
D'ailleurs, le dernier rapport financier rendu public par la Sonatrach et portant sur 2018 montre un alourdissement de 46 milliards de dinars des charges du personnel par rapport à l'exercice précédent.
Dans le monde, parmi les grosses compagnies pétrolières mondiale, notamment Shell, ExxonMobil, Total, ENI, Chevron ou Saudi Aramco, aucune n'emploie ne serait-ce que la moitié de l'effectif de la Sonatrach, à l'exception de la chinoise Petrochina. Pourtant, le chiffre d'affaires de chacune des premières fait au moins dix fois celui de la Sonatrach et celui de Petrochina représente trois fois les ventes de la Sonatrach. C'est dire, combien l'effectif et la masse salariale du groupe algérien relèvent de l'irrationnel.
Lire aussi : L'Algérie évincée par les Etats-Unis de sa position de premier fournisseur de gaz à l’Espagne
Rien qu'au niveau de la direction générale du groupe, il y a 1800 employés, la plupart des cadres administratifs ou supposés tels. "Un audit interne effectué récemment par un cabinet américain au profit de Sonatrach pour lui permettre d’améliorer son management a dévoilé que 70 % des employés de la direction générale de Sonatrach n’ont aucune utilité. Beaucoup d’entre eux ont été recrutés pour gonfler les effectifs et exécutent des tâches superficielles et totalement superflues", révèle le site d'information Algérie Part Plus. Ajoutant que: "Beaucoup d’entre eux ont été recrutés pour gonfler les effectifs et exécutent des tâches superficielles et totalement superflues.".
Dans les filiales, dont plusieurs ont vu leurs charges du personnel doubler au cours des dernières années, le constat est le même. Et au niveau des postes techniques, beaucoup dénoncent des recrutements qui ne sont pas basés sur les compétences.
De plus, les cadres dirigeants perçoivent des salaires et autres avantages en nature à couper le souffle. La masse salariale du PDG du groupe et de ses 40 conseillers est supérieure à celle de toute l'équipe gouvernementale d'Abdelmadjid Tebboune. En effet, "chaque conseiller dispose de deux véhicules de service, d’un salaire de 40 millions de centimes, un salaire plus élevé que celui d’un ministre au gouvernement, sans compter les autres avantages sociaux", poursuit Algérie Part Plus.
Lire aussi : Algérie: des jours sombres en perspective à cause du pétrole et de la pandémie
La compagnie a toujours été considérée comme une vache à lait par le régime, alors les PDG s'étant succédé à sa tête ont sans cesse ramené à leur côte une bande de copins systématiquement bombardés conseillers.
Aujourd'hui, la Sonatrach ne sait plus où donner de la tête à cause de ces charges de personnel qui l'étranglent littéralement. Abdelmadjid Tebboune avait notamment demandé, au début de la crise récente du pétrole quand Saoudiens et Russes ont entamé leur bras de fer, de réduire les charge d'exploitation pour les faire passer de 14 milliards de dollars à quelque 7 milliards de dollars. Il y a un peu plus d'une semaine, onze conseillers du PDG de la Sonatrach ont été limogés. Une goutte d'eau dans la mer, dans ce contexte où les cours du pétrole sont à leur plus bas historique depuis une vingtaine d'années. Mais, que peuvent réellement faire les dirigeants algériens qui savent que le hirak n'a pas désarmé et que dès que l'épidémie du coronavirus se calmera la contestation populaire reprendra de plus belle?