Liban-Algérie: la Sonatrach tente d'étouffer une sombre affaire de fuel frelaté et de corruption
La Sonatrach algérienne aurait voulu fourguer du carburant de mauvaise qualité, venant d'une vieille raffinerie acquise récemment, à Electricité du Liban (EDL). Pour ce faire, elle aurait soudoyé plusieurs laboratoires. Mais les autorités libanaises ont rapidement découvert le pot-aux-roses.
C'est la très officielle Agence nationale d'information (NNA) libanaise qui a donné l'information dans une dépêche publiée le samedi 25 avril et relayée par toute la presse locale. Selon elle, "la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, la juge Ghada Aoun, a ordonné l'arrestation de 17 personnes, notamment le directeur local du géant pétrolier et gazier "Sonatrach", dans le cadre de l'affaire du fuel frelaté, après une note d'information transmise à la justice par l'avocat Wadih Akl".
Et d'ajouter: "les 16 employés et dirigeants des infrastructures en hydrocarbures, ainsi que le directeur au Liban de Sonatrach, ont été mis en état d'arrestation, après des preuves de grandes irrégularités dans l'importation de fuel et des pots-de-vin impliquant des employés haut placés du secteur".
L'information ainsi diffusée officiellement par le gouvernement libanais qui parle bien "d'irrégularité et de pots-de-vin"se passe de commentaires. Et, visiblement, il serait plus approprié de contester ces graves accusations devant une cour de justice que de vouloir laver son honneur dans la presse.
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C'est malheureusement cette derrière solution que choisit la Sonatrach en diffusant à son tour un long communiqué pour démentir les accusations du gouvernement libanais.
"Sonatrach Petroleum Company (SPC, filiale de la Sonatrach) réfute totalement les allégations inexactes et mensongères sur l’implication d’un haut cadre de Sonatrach dans cette affaire et informe que la personne entendue par la justice libanaise, est un agent maritime indépendant, œuvrant pour le compte de SPC", écrit le géant algérien dans son document envoyé hier dimanche 26 avril.
Dans cette affaire, le géant algérien reconnaît qu'il y a bien un différend entre la SPC et son client, le ministère libanais de l'Electricité et de l'eau (MEW) du fait de la mauvaise qualité de cargaisons entières de fioul livrées à Electricité du Liban en date du 25 mars 2020.
Cinq jours plus tard, après la découverte de ce forfait, c'est-à-dire le 30 mars, des négociations ont été entamées. Cela veut simplement dire que si les autorités libanaises ont décidé de porter l'affaire devant la justice, c'est parce qu'entre temps, elles ont découvert l'ampleur de la fraude et surtout des faits avérés de corruption.
D'ailleurs, il y a lieu de noter que la Sonatrach ne joue au Liban qu'un rôle d'intermédiaire en carburant, puisque l'Algérie n'est pas autosuffisante en produits raffinés. Elle importe annuellement entre 2 et 2,5 milliards de dollars de fuel, essence et gasoil. Comment peut-elle alors exporter des produits venant d'Algérie?
Il lui reste la vieille raffinerie sicilienne qui a bien 70 ans d'âge et qui a été achetée il y a un peu plus d'une année auprès d'Exxon Mobil. Cette unité industrielle se trouve dans la zone la plus polluée en Italie et qui est appelée à juste titre le triangle de la mort, à cause du taux élevé de cancer du pays.
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Or, d'après la presse, ce sont justement ces produits que la Sonatrach fourgue à la compagnie publique EDL qui a alors intérêt à y voir de plus près.
Selon le site d'Information Bourse DZ , "la livraison au partenaire libanais d’une quantité de fuel frelaté n’est, en fait, qu’une opération technique qui a mis à nu un business totalement illégal, qui dure depuis 2005".
Un bref retour sur les faits montre que la cargaison incriminée, venant de la Sicile, a accostée au Liban le 11 mars et devait être livrée quinze jours plus tard à EDL. Le certificat de conformité délivré par un laboratoire italien lui permet d'avoir l'accord des autorités libanaises, d'autant que les expertises de deux laboratoires distincts confirment celles de leurs homologues italiens.
Donc, ce mauvais carburant aurait pu passer comme une lettre à la poste dans les cuves d'EDL. Sauf que le carburant était destiné à des centrales électriques flottantes louées par la Turquie au Liban. Une chose que les Algériens et leurs nombreux complices ne pouvaient pas savoir.
Les Turcs, qui sont payés suivant un prix du kilowatt, défini à l'avance, ont intérêt à maîtriser la productivité du fuel qui leur est livré. Et connaissant l'origine italienne de ce carburant, ils ont alors purement et simplement exigé une nouvelle expertise qui montre que la qualité du fuel n'est pas celle déclarée et que, par conséquent, les laboratoires italiens et libanais ont été soudoyés pour attester du contraire.
Ainsi, "le directeur général de la société libanaise d’électricité (EDL) a transmis, le 6 avril courant, un courrier au ministre de l’Energie, à travers lequel il démontre l’immensité du préjudice. Il avait précisé que deux centrales de production de l’énergie électrique (liées à EDL par des contrats de Tolling), refusaient de réceptionner le fuel frelaté et a recommandé à la banque centrale libanaise de surseoir au payement de la facture de cette marchandise", révèle la presse libanaise.
C'est à partir de là que la machine judiciaire libanaise a été mise en branle, aboutissant à l'arrestation du directeur local de la Sonatrach.
Cette histoire montre non seulement que les autorités algériennes tentent d'étouffer une affaire qui ternit l'image de la Sonatrach, mais surtout que la raffinerie sicilienne qui a été acheté à coup de milliards de dollars est une très mauvaise affaire.