En 2016, en pleine crise économique provoquée par les chutes de la production pétrolière et des cours du brut, Muhammadu Buhari, le président nigérian, avait fait une déclaration restée dans les annales: "Nous sommes devenus subitement pauvres". Avec un peu du courage du dirigeant ouest-africain, les autorités algériennes pourraient faire sien cet aveu. L'Algérie est effectivement passée d'une aisance financière à un effondrement brutal de ses ressources, qui risque de plonger beaucoup de ses citoyens dans la précarité.
C'est, du moins, ce qui ressort des chiffres que vient de révéler le directeur général des Impôts algérien, Amel Abdelatif, qui explique que 5 millions de salariés algériens ont un revenu mensuel inférieur à 30.000 dinars, soit moins de 233 dollars par mois, ou moins 7,8 dollars par salarié et par jour. Ce nombre représente 45,5% de l'ensemble des 11 millions de salariés du pays, public et privé compris, soit près d'un travailleur sur deux qui perçoit un revenu qui le plonge, dans la précarité, lui et sa famille.
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La question est de savoir où est passée toute la richesse du pays, produite au cours de ces dernières années, pour en arriver à ce que près de la moitié du pays se trouve dans une situation de quasi-pauvreté.
En réalité, en économie, il n'y a de véritable richesse que celle qu'on est capable de produire de façon régulière et continue, dans le temps. Or, en Algérie, c'est bien là où le bât blesse. La seule richesse du pays se trouve dans le pétrole, qui est soumis aux aléas du marché. C'est l'une des économies les moins diversifiées du monde. Même la filière des hydrocarbures, qui aurait pu être une source de prospérité pour différents métiers, ne repose que sur l’extraction de brut et de gaz exporté en l’état.
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L'Algérie importe ainsi jusqu’à 2,5 milliards de dollars de produits raffinés, sous forme d'essence et de gazole, mais aussi de lubrifiant, alors qu'elle aurait pu développer une véritable industrie autour de sa production pétrolière. Même quand la décision stratégique d'investir dans une raffinerie a été prise, il y a trois ans, la Sonatrach a préféré acheter une vieille unité industrielle sicilienne, en Italie, qui a plus de 70 ans d'âge et qui n'avait fait l'objet d’aucune rénovation récemment. Résultat de la course, les produits exportés vers le Liban à travers cette usine ont récemment été retournés à l'envoyeur. Et une enquête a été ouverte par la justice libanaise, à cause des pratiques de corruption autour de ce carburant frelaté.
De même, au lieu d'exporter l'électricité dont ont tant besoin ses voisins, elle préfère leur vendre son gaz à l’état brut. Mais aujourd'hui, l'un de ses principaux clients, l'Espagne, lui intente un procès, parce que l'Algérie refuse de baisser ses prix concernant un contrat annuel de fourniture de 9 milliards de m3.
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Comment, dans ces conditions auxquelles s'ajoutent les effets de la pandémie de Covid-19, le pays pourra-t-il offrir suffisamment d'emplois bien rémunérés à ses 44 millions d'habitants? Tant que tout repose sur les seuls hydrocarbures qui procurent plus de 60% des recettes du budget et 95% des exportations, la précarité des salariés ne fera que s'aggraver.