Les banques publiques algériennes se lancent pour la première fois dans la finance islamique, avec l'espoir d'attirer de nombreux Algériens dépourvus de compte bancaire, et de réinjecter dans le système financier une partie de l'économie informelle.
La Banque nationale d'Algérie (BNA) a ainsi mis sur le marché, il y a quelques jours, neuf produits financiers validés par l'autorité religieuse.
Les autorités ont d'abord créé cette année une "Autorité charaïque nationale de la fatwa pour l'industrie de la finance islamique", qui supervise le secteur et donne un agrément de conformité islamique.
De fait, de nombreux Algériens "boudent" la finance conventionnelle, relève un membre de l'Autorité, Mohamed Boudjelal, professeur d'économie.
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Certains musulmans jugent en effet que le système bancaire traditionnel (compte rémunéré, crédit, etc...) est incompatible avec leur foi.
La loi islamique (charia) proscrit notamment le prêt avec intérêt, la spéculation, l'investissement dans des secteurs considérés impies (alcool, tabac, jeux d'argent) et érige en dogme le partage des pertes et des profits.
Conforme à ces interdits, la finance islamique s'est développée à un rythme soutenu au cours de la décennie écoulée dans nombre de pays à majorité musulmane, en particulier dans le Golfe et en Malaisie, générant des centaines de milliards de dollars.
En Algérie, deux banques privées, filiales de groupes spécialisés dans la banque islamique -- Al Baraka Bank et Al Salam Bank -- basés à Bahreïn, proposent depuis plusieurs années exclusivement des services de finance islamique, respectueux de la charia.
Mais la totalité du secteur bancaire public, détenu à 100% par l'Etat, va proposer avant la fin de l'année des produits islamiques, notamment des "mourabaha", "ijara" ou "moucharaka". Des banques privées étrangères veulent aussi offrir ce type de produits.
- Ramener le liquide vers les banques -
La "mourabaha" est une alternative au crédit à la consommation: la banque achète le bien pour son client et lui revend contre paiements échelonnés, une marge bénéficiaire remplaçant les intérêts.
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L'"ijara" s'apparente au crédit-bail: la banque loue à son client un bien qu'il peut acquérir ou non à l'issue du contrat.
Enfin, la "moucharaka" est un partenariat d'investissement entre le client et sa banque, dans une entreprise, une opération commerciale ou un projet, moyennant une répartition convenue à l'avance des bénéfices et pertes.
L'Etat envisage également l'émission d'un emprunt obligataire islamique ("sukuk").
Selon la charia, la monnaie ne doit être qu'un intermédiaire dans les échanges. Elle ne peut créer de la valeur par elle-même, mais seulement à partir du moment où elle a été transformée en bien ou service.
Les banques publiques ne créeront pas de "filiales islamiques" mais des services séparés de leurs activités traditionnelles.
Le capital de départ -- censé ne pas avoir été "entaché" par un circuit financier "non islamique" -- a été constitué par l'ouverture préalable de comptes d'épargne non rémunérés.
L'un des objectifs des autorités est de ramener vers les banques l'importante masse d'argent circulant hors du secteur bancaire en Algérie, pays de 40 millions d'habitants où une grand part des transactions se fait en liquide.
- "Pas la panacée" -
Or, selon Abderahmane Benkhalfa, membre du panel des personnalités africaines chargées par l’Union africaine (UA) de mobiliser des financements internationaux pour aider l’Afrique face à la pandémie de Covid-19, l'économie algérienne a besoin de réinjecter dans le système bancaire cette masse de liquidités, récemment évaluée par la Banque d'Algérie a entre 30 et 35 milliards de dollars (25,52 à 29,8 mds EUR).
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Toutefois, seule une maigre partie de l'argent du marché parallèle circule en raison de convictions religieuses. Et l'expert d'avertir que la finance islamique n'est pas la "solution miracle".
La solution, plaide-t-il, s'appuie sur l'exhaustivité du système financier: à la fois moderniser la banque classique, la rendre plus réactive, et développer parallèlement la finance islamique.
L'économiste Abderrahmane Mebtoul est circonspect. A ses yeux, la finance islamique n'est viable que si l'inflation est maîtrisée et que les ménages ont confiance dans la gestion de l'Etat.
Selon lui, l’intégration de la masse monétaire informelle dans le circuit réel repose ainsi sur deux fondamentaux: d'une part la confiance, supposant une bonne gouvernance, et de l'autre un taux d'inflation réel non faussé par les subventions étatiques.
Aussi n'est-il pas sûr que la finance islamique parvienne à attirer vers les banques les Algériens dépourvus de compte.
En attendant de pouvoir jauger son attractivité, il est aujourd'hui difficile de chiffrer le montant que pourrait capter la finance islamique.
Autre handicap, selon diverses études, ses produits s'avèrent souvent plus chers que les produits bancaires traditionnels.