Les temps sont durs pour les exportations de gaz algériennes. Déjà en net recul au cours de ces dernières années et en très nette baisse cette année où elles ont été supplantées sur le marché espagnol par les exportations américaines, les exportations de gaz algériennes subissent depuis quelques jours les effets des intempéries qui les ont suspendues au niveau du au port pétrolier et gazier d’Arzew au moment où les clients européens en ont le plus besoin à cause de l’hiver.
Cette situation conjoncturelle risque d’être aggravée par l’investissement structurant du géant russe Gazprom associé à cinq groupes européens: Engie (France), Uniper et Wintershall (Allemagne), OMV (Autriche) et Shell (anglo-néerlandais).
Rappelons qu’après l’interruption brutale de ce projet de gazoduc reliant la Russie et l’Allemagne en 2019 suite aux sanctions américaines, le chantier du controversé gazoduc a repris le vendredi 11 décembre, en dépit d’une mise en garde des Etats-Unis, dont les producteurs sont aussi intéressés par le marché européen et craignent la mise en place de ce gazoduc qui pourrait contrarier leurs visées sur le marché européen. Et un navire russe est en train de poser la dernière section de 2,6 kilomètres de pipeline en zone économique exclusive allemande en mer Baltique.
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La réalisation de ce projet est une menace pour les exportations algériennes de gaz. En effet, Nord Stream 2 va simplement doubler les capacités de livraison de gaz russe du premier gazoduc Nord Stream 1 opérationnel depuis 2012 et conforter la position de la Russie en tant que leader des exportations gazières sur le marché européen et asiatique.
Du coup, la Russie sera à même de garantir la sécurité des approvisionnements de l’Europe occidentale via la mer Baltique à un prix beaucoup plus bas que la concurrence. Et comme les pays européens sont reliés entre eux par des gazoducs, la Russie pourrait ainsi assurer les approvisionnements des pays de l’Europe occidentale, y compris ceux constituant les principaux débouchés (Espagne, France, Portugal, Italie, etc.).
Ainsi, avec Nord Stream 2, l’Europe risque d’être une «chasse gardée» de la Russie. Une situation qui risque de réduire davantage la part de marché de l’Algérie en Europe.
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La Russie n’est pas la seule menace pour l’Algérie. En effet, les Etats-Unis, devenus grand producteur de gaz naturel, grâce notamment au gaz de schiste, ont lancé une offensive commerciale à la recherche de nouveaux débouchés, notamment au niveau de l’important marché européen. Ce qui leur a même permis de déloger l’Algérie de sa position de premier fournisseur d’Espagne en gaz au début de cette année et ce, malgré la proximité géographique et l’existence de deux gazoducs (Medgaz et Maghreb Europe) reliant l’Algérie à l’Espagne.
Selon les données de Cores relatives aux importations de gaz de l’Espagne, en février dernier, les Etats-Unis avaient supplanté l’Algérie en tant que premier fournisseur de gaz à l’Espagne avec une part de marché de 27% (7.924 GWh d’exportation de gaz), contre 22,6% (6.631 GWh) pour l’Algérie. Ce dernier qui dominait sur le marché espagnol depuis plus de 3 décennies, pesait jusqu’à 48,5% du gaz consommé en Espagne en 2018 avant de voir cette part s’effriter à 38,4% en 2019 et chuter en 2020.
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Mais le gazoduc Nord Stream 2 n’est pas la seule menace face aux exportations algériennes. Le démarrage du gazoduc Trans-Adriatique (TAP) entré en exploitation courant novembre 2020 pour acheminer le gaz produit en Azerbaïdjan vers l’Europe en passant par la Turquie va concurrencer le gaz algérien sur une partie de l’Europe, notamment sur le marché italien, débouché du gazoduc Trans-Mediterranean Pipeline qui relie l’Algérie à l’Italie.
Par ailleurs, l’arrivée sur le marché du gaz de l’Egypte dont la production ne cesse de croître pour devenir le 13ème producteur mondial et qui est devenu un exportateur de plus au niveau de la Méditerranée va aussi accentuer la concurrence au niveau du marché européen.
Enfin, deux autres facteurs internes constituent des menaces sérieuses aux exportations algériennes. D’abord, il y a l’épuisement des puits de gaz et la réutilisation d’une partie importante du cette ressource pour extraire du pétrole. Ensuite, il y a l’impact grandissant de la consommation intérieure en gaz qui augmente de 10% chaque année alors que la production baisse. Une situation inquiétante pour les exportations qui a poussé l’ancien ministre de l’Energie, Mustaha Guitouni, a alerté l’opinion publique algérienne sur les perspectives d’exportation du gaz du pays. «Si on continue à consommer à ce rythme, on arrêtera d’exporter à l’étranger, à l’horizon 2022, il restera juste de quoi satisfaire les besoins internes», avait-il averti en décembre 2018, en expliquant que «l’Algérie produit actuellement 130 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié est consommée en interne et 30% doit rester dans les puits pour qu’ils puissent demeurer actifs».
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Rappelons que le gaz naturel représente en 2019 près d’un quart (24,2%) de la consommation d’énergie primaire dans le monde. Au niveau de l’Union européenne, 74% du gaz importé étaient acheminés par gazoduc, pour l’essentiel en provenance de Russie (31%), Norvège (28%) et Algérie (5%). Durant la même année, les GNL (Gaz naturel liquéfié: gaz naturel de qualité commerciale condensée à l’état liquide) représentait un peu plus de 25% du gaz importé par l’Union européenne, en provenance notamment du Qatar (28%), de Russie (20%), des Etats-Unis (16%) et du Nigeria (12%).
Bref, dans cette guerre de l’approvisionnement en gaz du marché de l’Union européen, l’Algérie risque d’être la plus grande perdante.
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Du coup, ce sont d’importantes recettes en devises que pourrait perdre l’Algérie. En effet, cette situation venant s’ajouter à celle du niveau bas du cours du baril de pétrole risque d’impacter très négativement sur la balance commerciale du pays dont les recettes d’exportation dépendent à hauteur de 95% des exportations des hydrocarbures (pétrole et gaz). Ainsi, le pays qui a toujours vécu sur les confortables recettes des hydrocarbures devrait aussi trouver d’autres ressources pour atténuer sa dépendance vis-à-vis de al rente pétrolière. Sauf que l’après-pétrole est loin d’être préparé par les autorités.