Entre épuisement des ressources et défaut de maintenance, l'Algérie peine à approvisionner son premier client en gaz

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Le 23/01/2021 à 18h58, mis à jour le 24/01/2021 à 12h57

L’Algérie a du mal à respecter ses engagements en matière de fourniture de gaz naturel. Son premier client, l'Italie, s’inquiète pour sa sécurité d'approvisionnement dans les années à venir. La fiabilité de l'Algérie sur ce point est désormais mise en doute.

Les exportations algériennes en hydrocarbures ne cessent de décroître en valeur et en volume. Outre l’impact de l’évolution erratique des cours sur le marché international, la baisse des volumes exportés est une tendance lourde qui s’explique par l’épuisement des réserves, une production en décroissance et des problèmes de maintenance notables alors que la consommation intérieure en gaz augmente de 10% par an.

Ainsi, en 2020 le volume global des exportations d’hydrocarbures s’est établi à 82,2 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP), en baisse de 11%.

Du coup, l’Algérie a du mal à faire face à ses engagements envers ses partenaires européens. Ainsi, selon TSA Algérie citant l'agence de presse Montel News, le géant italien ENI souligne rencontrer «des réductions dans l’approvisionnement de gaz en provenance d’Algérie vers l’Italie qui ont été quantifiées par le fournisseur respectivement à 30% et 25% pour les 21 et 22 janvier», et pense que ces perturbations pourraient perdurer jusqu’au 1er février prochain.

La crainte des clients européens est réelle et paraît justifiée. La production d’hydrocarbures en Algérie est sur une tendance baissière depuis plusieurs années et la situation ne semble pas s’inverser. Bien au contraire. Ce qui ne manquera pas d'affecter les exportations en gaz du pays. Selon l’actuel ministre de l’Energie, Abdelmadjid Attar, à cause de la demande intérieure et de l’épuisement des puits, les exportations devraient se situer autour de 25 milliards de mètres cubes à l’horizon 2025, soit moins de la moitié des exportations en gaz du pays en 2005 qui se situaient à 64 milliards de m3, avant de reculer à 51 milliards de m3 en 2018, puis à 43 milliards de m3 en 2019 et à 41 milliards de m3 en 2020.

Partant, après avoir perdu son rang de premier fournisseur de gaz à l’Espagne au profit des Etats-Unis, l’Algérie risque aussi d’avoir des difficultés vis-à-vis de son premier client européen, l’Italie, dont il est le second fournisseur en gaz derrière la Russie.

L’Italie est le premier client de l’Algérie au niveau européen avec une part de marché de 14,5%, devant la France (13,7% et l’Espagne 10%). D’où la crainte de son partenaire ENI. Une situation qui a certainement poussé l’ambassadeur d’Italie en Algérie à rencontrer, à sa demande, le ministre algérien de l’Energie Abdelmadjid Attar pour aborder des questions bilatérales.

Toutefois, comme à l’accoutumée, les autorités algériennes n’ont pas pipé un mot sur le problème de la baisse de l’approvisionnement du groupe pétrolier ENI en gaz par la Sonatrach.

Dans un entretien accordé à l’agence de presse russe Sputnik, le ministre de l’Energie a au contraire déclaré que l’Algérie était «totalement fiable» et apte à remplir ses engagements en matière de fourniture de gaz à l’Europe.

Seulement, entre les engagements oraux et la réalité du terrain, il y a un fossé qui inquiète les partenaires européens.

A l’épuisement des puits de pétrole et de gaz s’est greffée la faiblesse de la maintenance des infrastructures du secteur. Le problème s’est aggravé au cours de ces dernières années du fait de politiques d’austérité et du gel de nombreux investissements. Ainsi, en 2020, les investissements pour le développement des activités du secteur ont baissé de 30% à 7,3 milliards de dollars.

L’Algérie fait face à une crise financière aiguë avec la chute des recettes d’exportation et donc des réserves en devises. Cette situation est aussi le résultat d’une politique d’investissement qui limite la part réservée aux investisseurs étrangers à 49% dans ce secteur. Un cadre juridique qui décourage les investisseurs étrangers. Pour preuve, seuls 20% des appels d’offres initiés par l’Algérie au niveau du secteur ont trouvé preneurs. Les investisseurs trouvent le cadre juridique et fiscal non incitatif pour des projets nécessitant de lourds investissements et s'accompagnant de risques élevés.

Outre les problèmes d’investissements et de maintenance, l’Algérie fait face à une forte augmentation de la consommation locale en gaz qui se fait au détriment des exportations qui assurent les recettes en devises. Le pays consomme 800 millions de mètres cubes de gaz naturel par semaine. Or, au rythme actuel de la hausse de la consommation intérieure et en tenant compte de l’évolution démographique, «en 2030, on aura un sérieux problème, soit on consomme, soit on exporte. C’est une rupture qu’il faut mener. Le pétrole et le gaz vont disparaître», souligne le ministre de la Transition énergétique Chems Eddine Chitour.

Plus pessimiste, l’ancien ministre de l’Energie, Mustapha Guitouni, avait prédit dès décembre 2018 «si on continue à consommer à ce rythme, on arrêtera d’exporter à l’horizon 2022». Il avait expliqué que l’Algérie produit 130 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié est consommée en interne et que 30% devaient rester dans les puits pour qu’ils demeurent actifs. C’est dire qu’une proportion faible devrait être exportée.

Les pays européens qui s’approvisionnent en gaz en partie à partir de l’Algérie craignent de se retrouver sans fournisseurs dans un avenir très proche.

Du coup, ils se tournent vers des producteurs plus sûrs afin de sécuriser leur approvisionnement pour les années à venir. Et le fait est que les grands pays producteurs de gaz, dont la Russie, l’Azerbaïdjan et le Qatar, sont beaucoup plus compétitifs que l’Algérie.

A ce titre, la réalisation du gazoduc Nord Stream 2 via la mer baltique qui va doubler les capacités de livraison de gaz russe va conforter la position de celle-ci en tant que leader des exportations de gaz sur le marché européen. Elle pourra approvisionner les pays d’Europe dont l’Allemagne, la France, le Portugal et l’Italie dont elle est déjà le premier fournisseur.

Outre la Russie, le gazoduc Trans-Adriatique qui achemine le gaz d’Azerbaïdjan vers l’Europe en passant par la Turquie va concurrencer également le gaz algérien sur le marché italien. Et ces deux gros producteurs ont l’avantage de pouvoir sécuriser la demande italienne, contrairement à l’Algérie dont les réserves s’épuisent et dont les capacités d’exportation s’amoindrissent d’année en année.

A ces deux menaces s’ajoutent le gaz de schiste américain qui a supplanté début 2020 l’Algérie sur le marché espagnol, pourtant chasse gardée depuis des décennies.

Enfin, son partenaire ENI est aussi partenaire de l’Egypte dans l’exploitation de l’important champ gazier Zohr en Méditerranée. Un champ qui pourrait aussi constituer une alternative à l’offre algérienne en cas de défaillances continues.

In fine, pour l’Algérie aussi, la situation est plus qu’inquiétante sachant que les hydrocarbures représentent 95% des recettes d’exportations du pays. En 2020, à cause de la chute du cours du baril de pétrole et de la baisse des exportations en volume, notamment de celles du gaz, les recettes du secteur sont tombées à 20 milliards de dollars, en diminution de 40% par rapport à 2019.

Du coup, c’est le déficit commercial qui s’est creusé avec à la clé un amoindrissement notable des réserves en devises à moins de 30 milliards de dollars. Ce qui réduit encore les capacités du pays à faire face aux investissements capitalistiques du secteur des hydrocarbures. 

Par Karim Zeidane
Le 23/01/2021 à 18h58, mis à jour le 24/01/2021 à 12h57