Algérie. L'asphyxie financière de la Sonatrach risque d'affecter toute l'économie du pays

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Le 25/09/2020 à 15h03, mis à jour le 25/09/2020 à 15h10

A cause de la crise financière, la Sonatrach a revu ses ambitions à la baisse. La réduction de 50% de ses dépenses, notamment à travers le gel de certains de ses projets de développement, risque de plomber pour longtemps le groupe et l’économie algérienne.

Finies les ambitions démesurées et utopistes d'Abdelmoumene ould Kaddour, ancien PDG de la Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures), première entreprise algérienne et africaine, qui annonçait sa volonté de faire figurer la firme parmi les 5 majors du secteur pétrolier à l’horizon 2030.

Suite à la chute des cours du baril de pétrole, aggravée par la pandémie du coronavirus et par une gestion calamiteuse de ses dirigeants, l’entreprise, intégrée de l’amont à l’aval pétrolier et gazier, traverse aujourd‘hui une crise sans précédent.

Cette situation a poussé ses nouveaux dirigeants à revoir leurs calculs et stratégies de développement dans un contexte mondial difficile qui risque de se répercuter durablement sur le développement du groupe et de l’économie algérienne, sachant que la Sonatrach est un Etat dans l’Etat. A elle seule, l’entreprise représente, via sa production de pétrole et de gaz, 95% des recettes d’exportations du pays et 60% de ses recettes budgétaires. C’est dire que l’économie algérienne repose sur une seule entreprise qui est aujourd’hui tire le diable par la queue.

Face à la crise, le président Abdelmadjid Tebboune, plus intéressé par la préservation des recettes en devises du pays que par le développement de l’entreprise, a sommé la compagnie de réduire ses dépenses. Du coup, le nouveau PDG qu’il a nommé, Toufik Hakkar, a annoncé le 1er juillet dernier un plan de réduction de 50% des dépenses de la compagnie et la révision de son plan d’investissement, autrement dit le gel des dépenses stratégiques annoncées.

Les projets sont aujourd’hui suspendus, selon le site algeriepart-plus.com, dont trois projets phares. En premier lieu, la future usine de GPL à Rhourde el Baguel (environ 100 km de Hassi Messaoud) qui comprend une unité de compression de gaz, des unités de déshydratation de gaz et une unité de traitement de gaz. La Sonatrach a également gelé le projet de Tinrhert 1 visant le développement du champ gazier de Tinrhert avec des puits, un réseau de collecte et une unité de traitement du gaz, et le projet de Rhourde Chegga.

Ces projets devraient contribuer à augmenter la production de gaz du pays et à faire face à la baisse de la production nationale à cause de l’épuisement des puits et de la vétusté des infrastructures faute d’entretien. Il s'agissait notamment de répondre à une demande exponentielle locale en gaz tout en maintenant les exportations à un certain niveau, afin de ne pas continuer à perdre des parts de marché à l’international.

Mais ces unités ne verront pas le jour dans l’immédiat. D’après Toufik Hakkar, la Sonatrach reprendra son plan initial de développement lorsque les cours des hydrocarbures s’amélioreront sur le marché international.

Seulement, les cours risquent de rester longtemps très bas. En dépit de la baisse des quotas des pays producteurs de pétrole, ils n’arrivent pas à se situer au-dessus des 45 dollars. D'ailleurs, le FMI table sur un baril de pétrole sous les 45 dollars jusqu'en 2025. 

Or, face à la pression forte de la demande intérieure, les exportations du pays risquent encore d'en pâtir du fait d’une offre insuffisante, combinée à une concurrence féroce des autres pays exportateurs, notamment au niveau du marché européen où l'Algérie est détrônée par les Américains concernant la livraison du gaz à l’Espagne, premier client de l'Algérie jusqu'en 2019.

En clair, le gel des projets vitaux du groupe risque de porter un coup dur à la première entreprise d’Algérie et donc à toute l’économie algérienne au moment de la reprise mondiale, faute de capacités de production adéquates et compétitives.

Reste que la crise financière n’est pas le seul facteur qui explique la déconvenue de la Sonatrach. Sa gestion est en grande partie responsable de sa situation financière actuelle.

Les nominations et des licenciements des dirigeants au sein de la plus grande entreprise africaine se succèdent, empêchant la mise en place d'une véritable stratégie de développement du groupe.

Ainsi, entre 1999 et 2020, 12 dirigeants se sont succédé à la tête de la Sonatrach, soit une période moyenne d'une vingtaine de mois par PDG. Certains n'y feront que quelques mois. Or chaque parton fait table rase de l'action de son prédécesseur, d'où le manque de vision à long terme.

En outre, la Sonatrach est la vache à lait de l’Algérie, mais surtout de ses dirigeants politiques et de ses PDG qui engrangent d’importantes commissions. La corruption y est instituée, comme en attestent les nombreux procès touchant des anciens ministres de tutelle et PDG, dont les plus emblématiques de ces dernières années sont aujourd’hui exilés à l’étranger comme Chakib Khelil et Abdelmoumene ould Kaddour. 

Enfin, il y a les nombreux mauvais investissements de l’entreprise. A titre d’exemple, l’achat de la raffinerie sicilienne d’Augusta en mai 2018 par l’ancien PDG Ould Kaddour. Présentée lors de son acquisition comme une excellente affaire pour approvisionner l'Algérie en carburant, et donc limiter les sorties en devises, elle s’est révélée un gouffre financier énorme. Acquise à 750 millions de dollars, son coût global (en tenant compte des dépenses réalisées depuis son achat) dépasse 1,2 milliard de dollars. De quoi réaliser une grosse partie des importants investissements actuellement gelés.

Bref, ce groupe tentaculaire, fort de ses 154 filiales et ses 200.000 collaborateurs, traverse une crise aiguë qui va impacter durablement l’économie algérienne dont elle assure psu de 95% des recettes d'exportations et plus de la moitié des recettes du budget. Et malheureusement, les remèdes court-termistes adoptés par les dirigeants algériens risquent d’aggraver encore la situation de ce mastodonte, véritable poumon de l'économie algérienne.

Par Karim Zeidane
Le 25/09/2020 à 15h03, mis à jour le 25/09/2020 à 15h10