Algérie: la poignante lettre d'un général à la retraite à (l'entourage de) Bouteflika

En uniforme, le général-major Ali Ghediri, alors directeur central du personnel représentant l'Algérie à l'exercice Seaborder 2012 en Espagne.

En uniforme, le général-major Ali Ghediri, alors directeur central du personnel représentant l'Algérie à l'exercice Seaborder 2012 en Espagne. . DR

Le 07/12/2018 à 10h43, mis à jour le 07/12/2018 à 14h52

C'est une lettre ouverte qui est supposée être adressée à Abdelaziz Bouteflika, mais qui en réalité critique vertement son entourage qui s'accapare un pouvoir auquel il ne peut accéder par les voies normales. Le général Ali Guediri croit encore à la "transition générationnelle"... Les détails.

Dans la Grande Muette, on ne parle pas, même si l'on est à la retraite, puisque l'on garde son statut de militaire. Dans une lettre ouverte, un général-major à la retraite, Ali Guediri, rompt ce silence pour s'adresser directement au "frère président" Abdelaziz Bouteflika. 

Le ton est solennel, certes, mais le contenu ne laisse aucun doute, l'allusion à un Bouteflika manipulé par son entourage est clair.

Ali Guediri rappelle à Bouteflika les engagements pris, il y a quelques années de cela, mais qu'ucun n'a été finalement respecté.

"En 2012, votre discours, qui a porté sur la nécessité et l’inéluctabilité de la transition générationnelle, m’avait alors donné espoir, comme à des millions d’Algériens, que l’ère du changement était enfin advenue", écrit Ali Guediri.

Sauf qu'avant d'avoir eu le temps de mettre en oeuvre ses plans et d'écarter les dinosaures de l'ère post-coloniale, une crise cardiaque est venue le terrasser.

Résultat: les caciques du régime sont plus que jamais en place et ils profitent de la paralysie de Bouteflika pour tout régenter à sa place.

Et, tout cela, Ali Guediri le dit sans ambages, dans un style rappelle la fameuse sortie de Layla Haddad, journaliste qui accusait directement le frère de Bouteflika de manipuler le chef de l'Etat algérien. 

Pour lui, il "est fondé de refuser d’admettre que vous (Bouteflika, Ndlr) seriez, à quelque titre que ce soit, un obstacle au changement et ce sont les mêmes raisons qui vous poussent à vous opposer à ceux qui échafaudent des stratégies de pérennisation d’un règne dont vous-même aviez dénoncé les limites".

Ali Guediri s'attaque ainsi de manière frontale à l'entourage de Bouteflika, qui est accusé de s'accaparer le pouvoir au détriment de Bouteflika lui-même, mais surtout contre les intérêts du peuple. Venant d'un officier supérieur de l'administration militaire, ces propos prennent tout leur sens et sont censés en interpeller beaucoup. 

Ce général à la retraite va plus loin en accusant la "minorité" d'apparatchiks de n'avoir "d’autre finalité que d’assouvir des desseins d’accaparement d’un pouvoir qu’elle sait hors de sa portée par les voies normales".

Et pour se faire, il se servent "de votre image, de votre passé et de l’affect populaire à votre égard pour monter des stratagèmes", dit-il s'adressant toujours à Abdelaziz Bouteflika. 

Selon lui, "il serait dangereux pour la stabilité du pays de ne pas tenir compte" de l'aspiration du peuple algérien au changement auquel avait appelé Bouteflika dans son fameux discours de Sétif.

Et Ali Guediri estime que les Algériens n'attendent que les élections de 2019 pour aller vers ce changement. 

Toujours selon lui, les "menaces... de ceux qui n’envisageant aucune distanciation par rapport au pouvoir, n’ont d’autres desseins que de s’en accaparer, le moment venu, par devers la volonté populaire, pour l’exercer ad vitam au mieux de leurs propres intérêts, avant de le transmettre en legs aux leurs".

Cette lettre ouverte est un véritable pavé dans la mare, étant donné que les cercles du pouvoir politique appellent de plus en plus à la continuité, en suggérant insidieusement un report des élections afin de perpétuer l'accaparement du pouvoir.

Malheureusement, étant donné l'état actuel du président Bouteflika, il n'est pas sûr que cet appel pour "une transition générationnelle" lancé dans cette lettre ouverte, soit entendu par l'intéressé... 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 07/12/2018 à 10h43, mis à jour le 07/12/2018 à 14h52