Algérie. Le vide constitutionnel commence aujourd'hui, retour sur 5 mois de crise

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Le 02/07/2019 à 11h31, mis à jour le 02/07/2019 à 14h44

Il y a tout juste trois mois que Abdelaziz Bouteflika a démissionné de son poste de président, pour une crise ayant débuté six semaines plus tôt. Son successeur n'a pas réussi à organiser une élection présidentielle comme l'a prévu la loi. L'entrée officielle dans un vide constitutionnel est actée.

2 avril - 2 juillet 2019. Voici trois mois jour, pour jour, que le président Abdelaziz Bouteflika a démissionné de son poste de chef de l'Etat algérien. Depuis, l'Algérie est dans l'impasse, à cause des positions antinomiques de l'unique homme fort du pays et de la volonté du peuple algérien. 

Ahmed Gaïd Salah, puisque c'est de lui qu'il s'agit, espère imposer un futur président qu'il aura choisi, maintenant ainsi une longue tradition.

Puisque, depuis l'indépendance, cela a toujours été l'armée qui choisit les chefs de l'Etat du pays, Abdelaziz Bouteflika lui-même avait été choisi par les généraux de l'ANP en 1999. Et c'est aussi l'armée qui lui a forcé la main pour qu'il démissionne le 2 avril dernier.

Le général de corps d'armée et vice-minitsre de la Défense Ahmed Gaïd Salah estime sans doute que les millions d'Algériens qui manifestent dans la rue depuis février dernier lui doivent le départ de son ancien mentor.

Peu importe qu'ils soient sortis dans la rue dès le 22 février et que vendredi après vendredi, ils ne cessent de manifester pour le changement d'un système dont le chef incontesté est désormais Gaïd Salah. 

La démarche du généralissime chef des armées obéit à une logique implacable, basée sur au moins trois logiques. La première est d'évoquer en toute chose la primauté de la Constitution, même si cette dernière a été modifiée à deux rerpises par des élus issus d'un système qui n'acceptera jamais de mettre fin à ses privilèges. 

C'est ce qui explique ses rappels incessants et ses nombreuses références à la Loi fondamentale algérienne.

Tout au long de ces quatre mois et demi de crise, rares sont les semaines où Ahmed Gaïd Salah ne s'est pas exprimé.

Et à chaque fois qu'il a pris la parole, c'est pour rappeler son attachement à une solution qui se base sur l'application de la Constitution.

Même à président que les 90 jours, délai constitutionnel pour l'organisation de la présidentielle par celui qui assure l'intérim de la fonction de chef d'Etat, Gaïd continue sur le même discours.

Pas plus tard qu'il y a une semaine, appelant les Algériens à lui faire confiance, il a déclaré que "l’ambition de l’armée [était] de servir le pays et d'accompagner honnêtement le peuple algérien authentique pour atteindre le seuil de la légitimité constitutionnelle". 

C'est également en voulant imposer sa solution "constitutionnelle" avant l'organisation d'un dialogue, auquel appellent l'ensemble des forces vives algériennes, qu'il avait demandé que se tienne le 4 juillet une présidentielle.

Ce projet a échoué quand le Conseil constitutionnel n'a finalement reçu que deux candidatures invalides. Dans la foulée, sans avoir de texte évoquant le cas de figure, les juges de cette instance ont prorogé l'intérim de l'actuel chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, jusqu'à ce qu'un président soit élu. 

La deuxième logique est l'élimination, à l'intérieur de ce système, de tous les éléments qui pourraient lui être hostiles ou barrer la route à son futur candidat. C'est ce qui explique la purge rondement menée contre les oligarques du système Bouteflika. Même si l'implication des victimes de cette purge dans les plus gros scandales financiers du pays lui facilitera la tâche.

Ainsi, Saïd Bouteflika, le frère du président démissionnaire ou les anciens Premiers ministres Abdelmaleck Sellal, Ahmed Ouyahia, plusieurs ex-ministres, les puissants hommes d'affaires Ali Haddad, les frères Kouninef, Reda, Karim et Noah-Tarek, ou Mahieddine Tahkout, comptent désormais parmi les nombreuses personnes touchées par cette purge, et qui sont actuellement en prison.

A ceux-là s'ajoutent de haut gradés de l'armée, de la gendarmerie ou de la police, actuellement poursuivis pour diverses raisons, ou encore les walis et autres administrateurs civils qui sont nombreux à goûter à la prisonà avoir été placés en cellule. 

La troisième logique, enfin, consiste à écarter les plus virulents hommes politiques ou d'influence qui mettent en lumière ses intentions.

Certains ont commis des délits d'opinion en critiquant ouvertement le général Gaïd Salah, alors que d'autres sont tombés pour avoir pris part à une réunion.

Dans le premier lot figurent, notamment, Louisa Hanoune, la leader du Parti du Travail (PT), le héros de la guerre d'indépendance, Lakhdar Bouregâa, les général à la retraite Houcine Benhadid.

Autant de personnes qui ont appelé à une solution consensuelle, donc politique pour la résolution de la crise. C'est là le lot de ceux qui ont "participé à une entreprise de démoralisation de l'armée en temps de paix". 

D'autres ont simplement pris part à des réunions qui n'ont pas été du goût de Gaïd Salah. C'est notamment le cas des anciens chefs des services de renseignements, Mohamed Boumédiène, alias Toufik, et Athmane, alias Bachir Tartag, ou encore du général à la retraite Ali Guediri.

Officiellement, ils sont tous accusés d'avoir porté atteinte à "l'autorité de l'Etat" ou à "l'autorité de l'armée" ou d'être à la solde de l'étranger. 

Evidemment, aujourd'hui, l'Algérie est dans une impasse d'où il lui sera difficile de sortir. Car le peuple qui n'a eu de cesse de manifester depuis février dernier n'a toujours pas été entendu.

Il continue de réclamer le départ des personnes qui symbolisent le système et à la tête desquelles se trouve Ahmed Gaïd Salah lui-même.

Ce dernier a mesuré toute son impopularité quand, il y a deux semaines, il a voulu diviser les manifestants en menaçant ceux qui arboraient le drapeau amazigh. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 02/07/2019 à 11h31, mis à jour le 02/07/2019 à 14h44