Il y a pratiquement un an jour pour jour, les Algériens décidaient presque spontanément de prendre d'assaut les rues afin de s'opposer à un cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika, mais également, dans un deuxième temps, de se débarrasser de la "Bande" qui a pratiquement mené le pays vers la faillite.
Leur premier objectif a été largement atteint, puisque malgré son entêtement, le président Abdelaziz Bouteflika, ou plutôt ceux qui tiraient les ficelles, ont jeté l'éponge. Le chef de l'Etat qui dirigeait le pays depuis 1999, a été contraint à la démission, sous la pression populaire, mais surtout après que la grande muette lui a retiré son onction.
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Aujourd'hui, après un an de manifestations, il est clair que le pouvoir algérien n'est plus ce qu'il était. Il s'est défait de l'arrogance qui le caractérisait tant. Beaucoup parmi les hommes qui le symbolisaient, dans ses composantes politique et économiques, sont soit en prison soit sagement remisés aux oubliettes.
La liste des ex-ministres, des généraux, des capitaines d'industrie actuellement en prison est tellement longue qu'il est impossible de la dérouler entièrement. On retiendra juste que Saïd Bouteflika, que tout le monde soupçonnait d'être le vrai chef de l'Etat, est sans doute le plus emblématiques des résidents de la maison d'arrêt d'El Harach. On raconte que, supportant mal son internement, il aurait perdu la raison.
Les deux ex-responsables des services secrets, à savoir Mohamed Médiène, dit Toufik (81 ans), et Athmane Tartag alias Bachir (70 ans), sont condamnés avec Said Bouteflika à 15 ans de prison. Ce qui, compte tenu de leur âge respectif, est synonyme de réclusion à perpétuité.
Les ex-Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal sont en prison, le premier pour quinze ans et le second pour douze ans.
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A ceux-là, s'ajoutent les oligarques que sont l'ex-tout puissant patron des patrons Ali Haddad, les frères Kouninef, et tous ceux qui étaient sponsorisés pour se lancer dans l'industrie automobile.
Mais, outre l'annulation du projet de cinquième mandat et ces nombreuses incarcérations et condamnations, le régime algérien a néanmoins réussi à se maintenir à flot, en faisant remonter à la surface ceux que l'on pensait écartés, mais qui en ont toujours fait partie.
L'actuel président de la république, Abdelmadjid Tebboune est de ceux-là, lui qui a déjà occupé la fonction de Premier ministre de Abdelaziz Bouteflika. Et au fond, dans son gouvernement actuel, on retrouve beaucoup d'anciennes têtes, alors que tous ceux qui ont été proches du Hirak en sont systématiquement écartés.
Pourtant, ce régime ou ce qu'il en reste, conscient de ses faiblesses, est sur ses gardes. Il n'y a pas eu les changements radicaux comme en Tunisie ou en EGypte, lors de ce qu'il est convenu d'appeler le printemps arabe, pour autant Abdelmadjid Tebboune sait que les réformes en profondeurs sont devenues obligatoires. Elles seront distillées au compte-gouttes, mais toucheront aussi bien la sphère politique que le domaine économique.
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Sur le plan politique, Tebboune a proposé la rédaction d'une nouvelle constitution, tout en promettant que le choix des élus, lors des prochaines élections, se fera de manière transparente.
Sur le plan économique, l'emprisonnement des oligarques a beaucoup nui à l'activité de production, mais l'Algérie demeure un pays qui respire par le gaz et le pétrole, ce qui l'a empêché de s'étouffer. En effet, les manifestations n'ont, à auccun moment, bloqué la production d'hydrocarbures. Donc, le gouvernement a encore les coudées franches pour ajuster ce qui peut encore l'être: la loi 49/51, les licences d'importations, les nombreuses réformes nécessaires pour attirer les investissements, etc.
Et dans un sens, le Hirak a même été salutaire, puisqu'il aura permis de bloquer nombre de chantiers publics confiés à des oligarques à des moments où les caisses de l'Etat se sont vidées et où les réserves de change ont fondu comme neige au soleil.
Mais au-delà de ce calme, l'Algérie tout entière a mille et une raisons de s'inquiéter, parce que peu de choses fonctionnent réellement dans ce pays. Les cours du Brent sont à leur plus bas niveau et n'ont pas franchi la barre des 70 dollars, depuis le mois de mai 2019. Les réserves du pays déclinent, sans que de nouvelles découvertes ne donnent l'espoir de maintenir la production future du pays.
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Le gouvernement a été contraint par le FMI et la Banque mondiale de mettre fin à l'utilisation de la planche à billets. En effet, cet outil peu conventionnel a certes le mérite de financier le budget en permettant d'imprimer une masse monétaire utilisable à l'intérieur du pays. Sauf que la planche a billets ne pourra pas financer les achats d'un pays qui importe tout et qui a un déficit commercial de l'ordre de 10 à 15 milliards de dollars.
Les réserves de changes qui dépassaient 194 milliards de dollars en 2014 ne sont plus que d'une petite soixantaine de milliards de dollars, à fin 2019. En 2021, les prévisions du ministère algériens= des Finances ont situé les réserves à 33 milliards de dollars, soit à peine 8 mois d'importations. Et dès 2022, le niveau plancher des réserves de sécurité sera atteint.
En conséquence, le pays devra demander le concours de la Banque mondiale ou du FMI, la Banque africaine de développement et les divers fonds arabes. Or, quelle que soit l'indulgence des derniers, il faudra se résoudre à aborder d'impopulaires mesures d'austérité.
Si le régime algérien a, jusqu'ici, réussi à faire en sorte que les revendications demeurent essentiellement politiques, le risque est grand de voir des débordements dès qu'elles prendront une tournure économique.