Algérie: deux ans plus tard, l'expert, devenu ministre, reconnaît que la raffinerie d’Augusta n'était pas une affaire

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Le 31/08/2020 à 17h15, mis à jour le 01/09/2020 à 13h36

Dernière réaction en date dans la polémique de la raffinerie d’Augusta, cette déclaration de Abdelmadjid Attar, ministre de l’Energie, qui reconnaît que la raffinerie rachetée par la Sonatrach n'est pas une bonne affaire. Pourtant, ce ministre avait été un des rares experts à soutenir ce rachat.

«Quant on m’a informé du projet [le rachat de la raffinerie d’Augusta, Ndlr], on m’a dit que c’était une bonne affaire, que ça allait réduire nos importations, qu'on allait pouvoir traiter le brut algérien. J’ai dit que c'était une bonne affaire. Mais finalement, le dossier est tout à fait autre», a reconnu le ministre de l’Energie, Abdelmadjid Attar, lors de l'émission Le Soir d'Algérie, diffusée sur le site du quotidien du même nom.

Cette affirmation, pour ce ministre qui revient sur ses propos premiers, est une prudente manière de se dédouaner, car il avait été l’un des rares experts à avoir applaudi l’achat de cette véritable poubelle de la filiale italienne du géant pétrolier américain Exxon Mobile.

De fait, l’acquisition en mai 2018, de la raffinerie d’Augusta en Sicile par l’ancien président de la puissante Sonatrach, Abdelmoumène Ould Kaddour avait été présentée, à l'époque, comme une excellente affaire pour l’approvisionnement de l’Algérie en carburant, et même une source de devises pour l’Etat algérien.

Toutefois, cette affirmation n’avait pas su berner nombre d’experts algériens, en dehors de l’actuel ministre de l'Energie.

Et pour cause: l’âge vénérable de la raffinerie avait amené beaucoup d’experts algériens à émettre des réserves sur l’intérêt d’aller acheter en Italie une telle ferraille, à un prix aussi exorbitant, à commencer par l’actuel ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, qui s’était formellement opposé à l’achat de cette raffinerie, justement à cause de sa vétusté.

Ferhat Aït Ali avait aussi soulevé la question de son prix, jugé très élevé, et avait battu en brèche l’argument selon lequel la raffinerie italienne allait réduire les importations de produits raffinés.

«C’est une mauvaise affaire dans tous ses aspects, elle ne répond à aucun besoin de ceux présentés comme étant en passe d’être remplis par cette acquisition», avait souligné l'économiste aujourd'hui ministre de l’Industrie, dès 2018, alors que son collègue au gouvernement, l’actuel ministre de l’Energie Abdelmadjid Attar, buvait littéralement les paroles louangeuses sur la raffinerie d'Augusta prononcées par Abdelmoumène Ould Kaddour, à propos des retombées positives de ce qui s'est révélé être finalement coup foireux pour la Sonatrach, et donc pour l’Algérie.

En effet, acquise pour la très rondelette somme de 725 millions de dollars, cette raffinerie -vieille de 70 ans!- s’est finalement révélée être un vrai gouffre financier pour la Sonatrach. Selon diverses sources, les charges liées à la maintenance de cette installation vétuste ont coûté, en plus de son exorbitante acquisition, environ 100 millions de dollars.

En conséquence, à cause de sa vétusté, le coût de revient des produits issus de cette raffinerie sont très élevés, comparativement aux produits importés. Les produits de la raffinerie d'Augusta ne sont en conséquence pas du tout compétitifs, dans un marché européen déjà saturé.

Pire encore, les dirigeants de la Sonatrach avaient trompé les Algériens en annonçant que la raffinerie d’Augusta allait raffiner le brut algérien et donc permettre à l’Algérie d’importer ses produits raffinés (essence et gasoil) à partir de cette raffinerie située en Italie.

Mais ce que les experts de la Sonatrach n’avaient pas compris, ou faisaient semblant de ne pas comprendre, sans doute à cause de «commissions» mirobolantes, c’est que la raffinerie achetée était dédiée au raffinage d’un pétrole de densités moyennes et lourdes, contrairement à celui produit par l’Algérie, qui est léger.

Autrement dit, même pour faire fonctionner cette unité, la Sonatrach s'est retrouvée obligée de l’approvisionner en pétrole lourd importé d’autres pays, comme l’Arabie Saoudite.

Les raisons de cet achat ne peuvent s’expliquer que par les dessous-de-table que certains protagonistes ont pu engranger, sur le dos des Algériens.

Ahmed Amazighi, l’ex-vice-président de la Sonatrach et conseiller de l’ancien président, a d'ailleurs été placé en détention provisoire depuis le 2 juillet. Il est accusé «de dilapidation de deniers publics, d’octroi d’indus avantages, et d’abus d’autorité», alors que le premier responsable de cette gabegie à grande échelle, Abdelmoumène Ould Kaddour, a, lui, trouvé les moyens de fuir et de s’installer tranquillement en France.

En attendant, les autorités judiciaires algériennes tentent de tirer au clair cette affaire pour situer les responsabilités des uns et des autres. La situation devient de plus en plus urgente, sachant que cette acquisition risque aussi de causer des conséquences encore plus importantes à la Sonatrach dans les années à venir.

En effet, puisque la raffinerie d'Augusta est située dans une région de la Sicile très touchée par les effets néfastes des usines pétrochimiques à l’origine de plusieurs cas de cancer, le risque est grand pour la Sonatrach de devoir de nouveau payer au prix fort les conséquences néfastes de ses activités de raffinage. 

De plus, son coût déjà exorbitant, à présent évalué à 1,2 milliard de dollars, si on cumule toutes les dépenses réalisées depuis son acquisition, risque de croître encore plus dans les années à venir, en tenant compte des conséquences environnementales et sanitaires.

La raffinerie d'Augusta va donc constituer un véritable gouffre financier pour l’Algérie, sachant que la Sonatrach, en charge des hydrocarbures, qui représentent plus de 95% des recettes d’exportations de l'Algérie, est le cœur battant de l’économie du pays, uniquement basée sur la rente pétrolière.

On comprend bien qu’avec cette toute dernière déclaration, l’actuel ministre de l’Energie tente tant bien que mal de s’éloigner de ce projet qu'il avait pourtant cautionné en tant qu’expert. Abdelmadjid Attar prend ainsi les devant, et se démarque publiquement de ce dossier, qui risque de devenir un très gros scandale dans les mois à venir. 

Par Karim Zeidane
Le 31/08/2020 à 17h15, mis à jour le 01/09/2020 à 13h36