L'absence de Tebboune plonge "l’Algérie dans la léthargie", selon Le Monde

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune.

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. . DR

Le 22/11/2020 à 14h44, mis à jour le 22/11/2020 à 14h47

En mars dernier, la première vague du Covid-19 a eu raison du Hirak, le mouvement de contestation algérien. Six mois plus tard, c’est le sommet de l’Etat que fait vaciller la recrudescence des contaminations au nouveau coronavirus.

Beaucoup de décisions cruciales, sur les plans économique et financier sont "suspendues au retour" d’Abdelmadjid Tebboune, "hospitalisé actuellement en Allemagne des suites du Covid-19", souligne le quotidien français Le Monde dans sa livraison du samedi 21 novembre 2020.

Voilà exactement 37 jours, que le chef de l’Etat algérien n’est pas réapparu. Tout juste, après avoir reçu le ministre français des Affaires étrangères, le 15 octobre, il a subitement disparu des radars. Ce caractère brusque de son infection au Covid-19 et l’enchaînement inattendu des évènements ont visiblement déconcerté le pouvoir qui va cafouiller dans sa communication.

"Les rumeurs orchestrées sur son «retour imminent» ont pour l’instant fait long feu", se désole la quotidien français avant de citer Slimane Chenine, le président islamiste de l’Assemblée nationale qui assure qu’Abdelmadjid Tebboune «reviendra sain et sauf, bientôt, en Algérie».

Mais nul, en Algérie, ne peut dire exactement de quoi souffre le locataire du Palais d’El-Mouradia, si ce n’est qu’il a contracté le virus du Covid-19. Les "communiqués laconiques de la présidence" se suivent et se ressemblent pour réveiller "en Algérie, le spectre d’une vacance du pouvoir telle que l’avait connue le pays lors des hospitalisations à l’étranger de son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika", explique Le Monde.

Pour le moment, les rares qui osent encore commenter la situation sont les leaders des partis d’opposition que tolère le régime, vu que les militants du Hirak et les journalistes peuvent être systématiquement accusés d’"atteinte à l’intégrité du territoire national". Mohcine Belabbas, le leader du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) s’interrogeait ainsi quand Abdelmadjid Tebboune a été transféré en Allemagne: «Sommes-nous condamnés à n’être dirigés que par des grabataires ou des malades?».

Le parallèle avec la situation qui "prévalait en décembre 2005, quand Abdelaziz Bouteflika avait été envoyé une première fois à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce" est la raison principale de l’inquiétude de l’opposant. On pourrait tomber "dans une configuration encore plus difficile", estime Le Monde qui souligne à juste titre que "cette absence du nouveau chef de l’Etat s’inscrit dans le contexte d’une crise protéiforme".

D’abord sur le plan sanitaire, "l’Algérie, plutôt épargnée par la première vague de Covid-19 au printemps, est désormais frappée de plein fouet par la résurgence de la pandémie". Ensuite, au niveau financier, "le pays, dont les revenus sont essentiellement tirés des cours d’hydrocarbures en plein marasme, attend toujours les réformes structurelles maintes fois promises qui le sortiraient de sa dépendance aux richesses volatiles de son sous-sol". Les chefs d’entreprises très affectés économiquement ne cachent pas leur souffrance. «A l’image de la santé du président, dont je souhaite évidemment et humainement un rétablissement rapide, tout est suspendu», estime l’un d’entre eux interrogé par le journal. Bien qu’il dispose de trésorerie pour investir, il se heurte à ce qu’il appelle "un mur administratif". "Un an après l’élection de M. Tebboune et les promesses d’une relance économique encourageant les opérateurs nationaux et productifs, c’est toujours la même histoire. L’administration est une coquille vide. On ne répond même pas à vos courriers. C’est un Etat rentier qui comprend qu’il ne peut plus continuer dans cette voie, mais reste prisonnier de sa nature. Il est aujourd’hui en phase de procrastination. Comme si un hypothétique printemps arriverait après l’hiver".

Enfin, la crise algérienne est surtout politique. "Les plans du pouvoir sont compromis depuis le référendum de réforme constitutionnelle du 1er novembre, massivement boycotté par les électeurs". En effet, le boycott massif par 67,3% des électeurs, est un sévère désaveux de Tebboune qui espérait tourner la page du Hirak en se faisant plébisciter dans une consultation qu’il voulait de type soviétique. La participation de 23,7% est le taux le plus bas jamais atteint lors d’une élection depuis l’indépendance du pays. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir mobilisé les moyens de l’Etat.

«La feuille de route politique des décideurs est un échec. La majorité des Algériens a exprimé de façon non équivoque son rejet de l’agenda du pouvoir», souligne ce militant du Hirak qui préfère s’exprimer en off-the record pour échapper à d’éventuelles poursuites.

Sauf que cette mascarade sera encore une fois dans l’impasse, à cause de la maladie de Tebboune. Car pour que cette nouvelle Constitution entre en vigueur, il faut qu’elle soit "paraphée par le chef de l’Etat et promulguée au Journal officiel trente jours après la proclamation des résultats".

L’autre blocage institutionnel touche la loi de finances 2021, sans laquelle, il est impossible que le pays fonctionne correctement.

Il est évident qu’en plusieurs points, l’Algérie de ce dernier trimestre 2020 ressemble à s’y méprendre à celle des cinq dernières années passées par Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, où les décisions ont été prises par le clan autour de lui, sans que les Algériens n’aient l’assurance qu’elles émanaient directement du chef de l’Etat d’alors. A la chute du clan, en avril 2019, finalement tout le monde a indexé Saïd Bouteflika, son frère, qui serait à l’origine des décrets qui ont gouverné le pays sur cette période.

Aujourd’hui, la question légitime se pose de savoir si le bateau Algérie a un capitaine. Beaucoup en doutent quand certains préfèrent relativiser. "Il y a un chef du gouvernement et un gouvernement. On ne peut pas dire qu’il n’y a aucun pilote dans l’avion. Mais dans le système algérien, c’est le président qui est la clé de voûte institutionnelle voulue par les militaires. Nous verrons quels mécanismes vont être mis en œuvre en cas de vacance du pouvoir", explique une figure de la société civile.

Mais la question se pose de savoir si quelque chose pourrait sauver l’Algérie du naufrage annoncé par toutes ces crises. Si le pays en est là, c’est parce que le régime militaire a décidé de confisquer la révolution pacifique voulue par des millions d’Algériens qui sont sortis spontanément dans la rue un après-midi d’un vendredi 22 février 2019 et tous les autres vendredis qui suivront jusqu’à ce qu’arrive le Covid-19 en mars de cette année. L’Algérie et son régime militaro-civil sont-ils condamnés à un éternel recommencement par le sort qui s’en prend à leurs chefs d’Etat ? Il faudra attendre la fin des «examens médicaux» poussés que subit Tebboune en Allemagne pour le savoir.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 22/11/2020 à 14h44, mis à jour le 22/11/2020 à 14h47