«La promesse a été tenue»: c’est en ces termes que le très officiel quotidien Al Moudjahid salue dans un éditorial le coup d’envoi, samedi 30 janvier, de la campagne de vaccination contre le Covid-19 en Algérie. Et en termes de «promesse», c’en était en effet une, et de taille: celle à laquelle s’était engagé Abdelmadjid Tebboune, le président, qui s’était réveillé de sa maladie le 20 décembre 2020 pour ordonner à son Premier ministre, Abdelaziz Djerad, rien de moins que «de lancer la campagne de vaccination dès janvier 2021». Depuis, c’est le branle-bas de combat en Algérie, pour lancer, et coûte que coûte, une campagne de vaccination dans l’ensemble du pays, avant le 31 janvier 2021.
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Pour les autorités sanitaires algériennes, il fallait donc, vaille que vaille, commencer la campagne de vaccination avant la fin du mois de janvier. Une question d'image, d’amour-propre, voire de survie politique. C'est donc désormais chose faite.
Mais le constat d'échec est pourtant clair: l'impératif médical et sanitaire s’est finalement retrouvé relégué au second plan, pour favoriser un effet d’esbroufe par une communication d’image. C'est d’ailleurs ce qu’en disent les médias algériens, au lendemain du lancement de cette campagne de vaccination par Abderrahmane Benbouzid, le ministre de la Santé.
«Un coup d'éclat médiatique, qui a été quelque peu ternie par les images de cohue et l'absence de gestes barrières observés lors de cette opération», dénonce le quotidien L'Expression. Le journal critique, de plus, l'amateurisme et le manque de sérieux qui ont entouré le lancement de cette campagne de vaccination, qui a débuté sans préparation, sans même la certitude pour l’Algérie de recevoir l’ensemble des doses de vaccin dont sa population a besoin.
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En effet, officiellement du moins, le vendredi 29 janvier dernier, ce ne sont que 50.000 doses de Sputnik V, sur une commande préalable, ou une promesse faite de 500.000 unités, qui ont été réceptionnées par Alger. La quantité annoncée par les autorités est, de fait, déjà extrêmement faible, et ne permet pas le lancement, en toute sérénité, de la moindre campagne de vaccination d’envergure.
Et, qui plus est, même cette petite quantité est remise en cause par certaines sources. Ainsi, le site d'information Algérie Partparle de la réception, par Alger, de 20.000 unités du vaccin russe seulement, pas même, donc, la moitié du nombre officiel annoncé.
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Quoi qu’il en soit, et quel qu’en soit le nombre, la Russie, allié historique de l’Algérie, n’a daigné livrer cette quantité, quelle qu’elle soit de son vaccin, le Spoutnik V, qu’après un intense lobbying de la part des militaires.
«Naturellement, ni le ministère de la Santé, ni celui de l’Industrie Pharmaceutique, ni encore moins le Porte-parole du gouvernement algérien, Amar Belhimer, n’ont voulu communiquer ce chiffre aux médias afin d’éviter les railleries d’une opinion publique en colère contre les échecs successifs de l’actuel pouvoir en place dans la gestion de la crise sanitaire et, surtout, financière paralysant le pays», souligne, à cet égard, Algérie Part.
Plus grave encore, il n’est même pas sûr que les 450.000 doses officiellement restantes seront bien livrées, si l'on en croit les propos inquiétants de l'ambassadeur de Russie en Algérie, expliquent des médias algériens, bien renseignés.
«Selon l'ambassadeur russe en Algérie, cette quantité (de 450.000 doses, Ndlr) sera livrée progressivement sur les 4 prochains mois. Il ne manquera pas de souligner qu'en raison de l'augmentation de la demande, il n'était pas possible de les satisfaire toutes, rappelant l'offre qui a été faite par son pays à l'Algérie de la soutenir pour lancer localement la production du Spoutnik V», détaille ainsi L'Expression.
Sauf qu'à aucun moment, les autorités algériennes n'ont voulu saisir la balle au bond, en accédant à cette offre qui leur a été faite par Moscou. Manque de moyens techniques? Financiers? Absence de vision? Quoi qu’il en soit, pour l'heure, les autorités algériennes semblent plus intéressées par la poursuite de leur opération de communication et évoquent même, en maintenant un flou artistique total, des vaccins en provenance des laboratoires AstraZeneca, et de Sinopharm. Pourtant, L’Expression, qui y voit plus clair, déplore que «ni les quantités globales commandées ni les premières livraisons qui seront réceptionnées ne sont connues pour le moment».
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Bref, en Algérie, pays de 44 millions de d'habitants, les habitants devront encore attendre longtemps, avant de pouvoir prétendre à leur vaccination, compte tenu des nombreuses incertitudes sur les quantités de vaccin qui seront reçus dans le pays.
Le flou est également entretenu sur les cibles et les catégories de la population qui seront désignés comme prioritaires, pour l’administration des injections que devraient être, en principe, «le personnel de la santé, les malades chroniques et les services de sécurité».
En effet, le ministre de la Communication a cru bon s’en mêler, et a ajouté, à cette liste, «le secteur de l'enseignement, les imams, les responsables politiques et la famille de la presse».
En vérité, les autorités algériennes risquent une nouvelle fois de livrer toute l’étendue de leur amateurisme, voire de la faillite de l’Etat, en cherchant à tout prix à lancer une campagne de vaccination, sans vaccins en suffisance. Et tout cela pourquoi? Pour «sauver la face» de Tebboune, ne pas le faire se dédire après qu’il a publiquement promis, sur Twitter, et depuis l’Allemagne où il était soigné, de vacciner les Algériens. Autre raison cachée: éviter le ridicule d’une comparaison avec le Maroc, qui, sans disposer d’une manne d’hydrocarbures, a su mener une politique à la fois pragmatique et efficace qui affole les oligarques au pouvoir.
Le gouvernement que dirige Abdelaziz Djerad, mis sous pression par le président malade, a donc lancé une campagne de vaccination avec une quantité de vaccins ridiculement insuffisante, le tout, dans une impréparation totale pour mener à bien cette opération. Pas de structure d’accueil, pas de plateforme pour que les citoyens puissent s’enregistrer, aucune préparation logistique ou humaine...
Si les oligarques algeriens pensaient ainsi sauver la face de leur pays, et de leur président, avec une photo d’une Algérienne qui se fait administrer le Spoutnik V, les photographies qui seront prises ensuite risquent d’apporter bien des désillusions, et encore plus accroître le manque de confiance des citoyens dans la capacité de leur pays à savoir affronter, avec un peu de sérieux, les défis de la gestion d’une pandémie.