Pourquoi Bouteflika a limogé brutalement hier son puissant chef de la police, le général Abdelghani Hamel, directeur général de la sûreté nationale algérienne? A première vue, ce limogeage fait suite aux déclarations du puissant général concernant la cocaïne du port d'Oran, devenant ainsi la première victime de cette affaire d'Etat.
En effet, le président algérien a limogé Abdelghani Hamel quelques heures seulement après que celui-ci s’est fendu d'une déclaration dans lequelle il faisait référence à l’enquête en cours sur cette affaire de cocaïne, enquête confiée bizarrement à l’armée. Il explique, dans cette vidéo, sans ambage, que «l’enquête préliminaire a été marquée par des dépassements, mais fort heureusement, les juges étaient à l’affût».
L’ancien homme fort de la sûreté algérienne, qui sait bien ce dont il parle, n'en dira pas plus sur les auteurs de ces dépassements. Peut-être faisait-il allusion au fait que l’enquête soit diligentée par l’armée? En tout cas, il explique aussi que «celui qui veut lutter conte la corruption doit lui-même être propre» et y insiste. Cela pose une question de taille: qui sont ceux qui n'ont pas les mains propres, parmi les personnes menant l'enquête ou qui les ont nommées?
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Certainement quelques barons du sérail qui souhaitent désormais faire taire un homme central au sein de la hiérarchie sécuritaire et dans le dispositif du pouvoir politique, et à qui on prête une ambition présidentielle. D'ailleurs, des journaux algériens avaient fait état de l'implication du "chauffeur personnel" d'Abdlghani Hamel avant que la DGSN ne démente l'information en précisant que la personne mise en cause est «un chauffeur du parc automobile de la direction et non pas le chaufeur personnel du directeur général de la sûreté nationale».
A travers cette sortie, on comprend l’amertume du directeur de la sûreté algérienne d’être écarté de cette enquête qui le concerne au premier chef. Il n’a pas manqué ainsi de souligner que malgré le fait que la DGSN soit écartée de celle-ci, «nous transmettrons à la justice tous les dossiers à notre disposition, car notre confiance en la justice est inébranlable». Quels sont ces dossiers en sa possession, et qui dérangent tant au sommet de l’Etat pour précipiter sa chute quelques heures après sa déclaration par le chef de l'Etat?
En tout cas, cette affaire de cocaïne n'a pas fini de défrayer la chronique en Algérie. Le dossier des 701 kg de cocaïne saisis le 29 mai dernier à Oran continue d’empoisonner la vie politique locale. Il convient de rappeler que le principal accusé dans cette affaire est l’homme d’affaires Kamel Chikhi surnommé «Kamel le boucher». L’homme a fait tomber avec lui de nombreux magistrats et plusieurs personnalités dont le fils de l’ancien Premier ministre Tebboune, des maires et walis pour trafic d’influence, etc.
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Reste que dans cet imbroglio, le limogeage du patron de la DGSN intervient à quelques mois de la présidentielle algérienne de 2019. Et sur ce point, l’ex-directeur de la sûreté est souvent mis en avant dans l’équilibre des forces en présence. Certains milieux avaient même fait sa promotion comme potentiel candidat à la magistrature suprême. Un sacrilège pour d’autres qui l’attendaient certainement au tournant.
Le ministre de la Justice algérienne, Tayeb Louh, a souligné, ce 25 juin, lors d’une conférence de presse, que l’enquête sur l’affaire de la cocaïne a révélé «l’implication de plusieurs personnes dans des faits liés à la corruption et de pots-de-vin versés en contrepartie de facilitations».
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Toutefois, selon un ancien officier de l’Armée nationale populaire (ANP) algérienne et spécialiste des renseignements, «ils sont en train d’orienter l’opinion publique vers une fausse piste sur cette question de la cocaïne. Ils parlent de corruption autour de cette affaires mais dans le but de la noyer», avant d’expliquer que «le fond de cette affaires est la cocaïne. Qui a acheté cette cocaïne? Comment l’argent est sorti du pays? Quelle était sa destination finale?». Pour lui, cette drogue faisait partie d’une opération de narco-terroriste et non pas de narcotrafic.
Bref, dans cette histoire de drogue, devenue depuis le premier jour une affaire d’Etat lorsqu’on a confié à l’armée l’enquête, il persiste beaucoup de zones d'ombres. Le limogeage du général Hamel risque de n’être que le premier d’une longue série dans le contexte de la présidentielle prévue dans quelques mois.
D'ailleurs, ce limogeage intervient au moment où on annonce de plus en plus du départ à la retraite du puissant général Ahmed Gaïd Salah, chef d’Etat-major et vice-ministre de la Défense. Un autre homme fort puissant qui ne cache pas ses ambitions pour occuper le plus haut poste de l’Etat algérien. Une manière de dégager le boulevard du 5e mandat au président Bouteflika.