Pendant des décennies, "le gouvernement prétendait mettre en place des taxes, et les contribuables prétendaient les payer", comme l'explique un directeur de banque nigérian.
Un laisser-aller qui, finalement, arrangeait bien tout le monde tellement la tâche paraît insurmontable dans un pays de 180 millions d'habitants, où l'immense majorité vit du secteur informel ou de l'agriculture de subsistance et où la manne fiscale repose finalement sur quelques dizaines de millions de personnes seulement.
Mais le gouvernement de Muhammadu Buhari, ancien général qui n'est réputé ni pour son laxisme ni pour son sens de l'humour, a décidé de remettre de l'ordre dans son Trésor Public.
Alors que dans le reste du monde les candidats au poste suprême promettent de baisser les impôts, M. Buhari, qui a annoncé son intention de briguer un nouveau mandat à la présidentielle en février 2019, a promis, lui, de doubler la charge fiscale globale du pays d'ici à 2020.
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Le Nigeria, qui peine à retrouver le chemin de la croissance après avoir traversé sa pire récession en 25 ans, en a cruellement besoin.
Mauvais élèves
Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le ratio de recettes fiscales globales du Nigeria par rapport à son PIB est le plus faible de toute la région sub-saharienne.
En 2016, seuls 241 individus ont payé plus de 20 millions de nairas d'impôts sur le revenu (47.000 euros), a récemment dévoilé la ministre des Finances.
Un comble, lorsque l'on sait que la seule ville de Lagos, capitale économique du pays, comptait 6.800 millionnaires et 360 multimillionnaires (en dollars, bien sûr), selon un rapport d'AfrAsia Bank de 2017.
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A vrai dire, les salariés de la classe moyenne ou supérieure ont toutes les raisons d'être d'aussi mauvais élèves du fisc. Les infrastructures sont dégradées ou inexistantes. Les routes se délitent. Les Nigérians payent leur eau ou leur électricité (quand il y en a) à des sociétés privées.
"Transparence des fonds publics"
La corruption endémique est en grande partie responsable de cette situation, regrette l'émir de Kano Sanusi II, immense figure traditionnelle dans le nord du Nigeria et ancien directeur de la Banque Centrale du pays.
"Il faut rendre la gestion des fonds publics plus transparente si l'on veut augmenter les revenus fiscaux", a-t-il déclaré cette semaine lors d'une rencontre de la Banque Africaine de Développement en Corée du Sud.
"Garantissez que les impôts vont dans les caisses du gouvernement et vous n'aurez plus autant de fuites", a martelé l'émir.
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Dans l'Etat de Lagos, mégalopole de 20 millions d'habitants et capitale commerciale de l'Afrique de l'Ouest, les revenus fiscaux représentent plus d'un tiers des revenus récoltés dans les 36 Etats fédéraux qui composent le Nigeria, d'après l'organisation locale contre la corruption BudgIT.
Une manne financière importante qui a permis le développement de nombreux projets de transports ferroviaires ou routiers à travers la ville qui font la fierté des Lagossiens.
Au niveau national, la ministre des Finances Kemi Adeosun a lancé un programme d'amnistie contre les anciens fraudeurs. En échange, les Nigérians ont l'obligation de se mettre à jour avec le Trésor Public au risque d'encourir une peine de cinq ans de prison, des amendes ou des recouvrements de biens.
Changer les mentalités
En parallèle, le gouvernement met en place un registre numérique des patrimoines et tente de retracer les biens non déclarés par leurs propriétaires, grâce à des cabinets de détectives financiers tels que Kroll Associates.
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Mais la répression ne suffit pas. Il faut changer les mentalités. A Lagos, un immense panneau publicitaire lumineux au centre d'un rond-point très emprunté remercie les bons élèves en leur signalant que la route a été réalisée grâce à leurs efforts.
En mai, la ministre des Finances s'est félicitée d'avoir augmenté la base de contribuables, passant de 14 millions en 2016 à 19 millions en 2018.
C'est un petit pas pour les revenus du pays, mais c'est un pas dans la bonne direction, note Yomi Olugbenro, spécialiste de la fiscalité pour le cabinet Deloitte à Lagos.
"En fait, c'est un cercle vicieux", poursuit le fiscaliste. "Le gouvernement a besoin d'argent pour réaliser des projets, mais comme il ne les fait pas, les contribuables ne veulent pas payer."
"En fait, ils ont surtout besoin d'être convaincus que leur argent sert à quelque chose."