Chef d'un micro-parti politique, James Lukuku a été expédié en cellule quelques heures pour méditer sur son insolence.
Original, son coup de gueule est toutefois loin d'être isolé. En Zambie, de plus en plus de voix se font entendre pour dénoncer l'omniprésence chinoise dans leur pays.
"Je voulais déposer une pétition à l'ambassade des Etats-Unis pour attirer l'attention de la communauté internationale sur l'influence et la corruption chinoises en Zambie", explique à l'AFP James Lukuku, revêtu d'un T-shirt barré du slogan #sayno2China (#disnonàlaChine).
Comme dans de nombreux autres pays africains, la Chine est de loin le premier investisseur étranger en Zambie.
Au nom de l'aide "sans conditions" vantée par son président Xi Jiping, très peu d'appels d'offre publics lui échappent.
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A Lusaka comme dans le reste du pays, la Chine construit aéroports, routes, écoles, usines et postes de police. Cette frénésie bâtisseuse se finance à grand renfort de prêts chinois qui suscitent de nombreuses interrogations.
"Les Chinois ont pris le contrôle de notre économie par le biais de dettes criminelles", s'insurge M. Lukuku, "ce gouvernement s'endette en dehors de tout contrôle du Parlement".
Officiellement, la dette publique zambienne s'élève à un peu moins de 9 milliards d'euros.
Diaboliser la Chine
Mais depuis des mois, les marchés soupçonnent le gouvernement d'en cacher une bonne partie, comme ce fut le cas récemment du Mozambique voisin. A tel point que le Fonds monétaire international (FMI) rechigne à accorder à Lusaka un prêt de 1,3 milliard de dollars qu'il sollicite.
Avec une croissance en berne pour cause de chute des prix du cuivre, sa principale ressource, les rumeurs vont bon train sur les difficultés du pays à respecter ses échéances financières.
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Avec d'autres, James Lukuku affirme que, faute de pouvoir payer ses traites, l'Etat serait sur le point de céder à la Chine le contrôle de sa compagnie d'électricité (Zesco), de l'aéroport de Lusaka et de la radiotélévision nationale (ZNBC).
Piqué au vif, le président Edgar Lungu a renvoyé ses accusateurs dans les cordes.
"Je vous implore d'ignorer les +Unes+ trompeuses qui cherchent à diaboliser notre relation avec la Chine en assimilant notre coopération économique au colonialisme", a-t-il dénoncé récemment devant les députés.
Sa ministre des Finances Margaret Mwanakatwe a assuré dans la foulée que la Zambie avait réglé rubis sur l'ongle 341,82 millions de dollars d'intérêts à ses créanciers depuis le début de l'année. Et que seuls 30% de la dette du pays étaient détenus par la Chine.
Le principal parti d'opposition a fait de l'omniprésence chinoise l'un de ses chevaux de bataille contre le régime.
"Le rythme auquel les Chinois prennent la place des Zambiens avec leurs offres financières généreuses est une bombe à retardement", avertit Stephen Katuka, le secrétaire général du Parti uni pour le développement national (UPND).
Colonialisme
"Si la situation dégénère, ça pourrait aboutir à des agressions contre des citoyens étrangers", insiste-t-il.
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D'ordinaire discret, l'ambassadeur chinois Li Jie est sorti de sa réserve pour s'étonner de cette mise en cause. "Je trouve étrange d'entendre que nous voulons coloniser l'Afrique", a-t-il dit à la presse, niant catégoriquement à son tour toute velléité chinoise de racheter des entreprises publiques zambiennes.
Economiste et président d'une Association pour le développement du secteur privé (PSDA), Yosuf Dodia ne s'en offusquerait pas. L'Empire du Milieu est une chance, répète-t-il.
"Certains disent que les Chinois vont prendre le contrôle de l'Afrique et la dépouiller", déplore M. Dodia. "Mais l'Afrique a été dominée par l'Occident pendant cinq cents ans (...) et la pauvreté règne partout sur le continent", rappelle-t-il.
"Le niveau des investissements chinois en Zambie (...) est estimé à 10 milliards de dollars et c'est très bien", souligne l'économiste, "aucun autre pays ne peut nous offrir de telles opportunités".
Sur le terrain, ce chiffre laisse les patrons locaux de marbre.
"L'argent que les Chinois tirent des contrats sort du pays et nous n'en récupérons ici que de maigres salaires", rouspète Edgar Syakachoma, à la tête d'une entreprise du bâtiment et du Forum pour l'émancipation nationale (NEF).
"Il faut que le gouvernement nous donne aussi des contrats qui bénéficient aux Zambiens", conclut-il.