Les Gambiens et étrangers résidents en Gambie continuaient mercredi de fuir ce pays sous état d'urgence sur décision du président sortant Yahya Jammeh qui conteste sa défaite face à son successeur élu, Adama Barrow, censé prêter serment jeudi.
Banjul, la capitale, avait mercredi les allures d'une ville en sommeil : moins de véhicules circulaient, plusieurs boutiques étaient fermées et des denrées alimentaires commençaient à manquer dans plusieurs quartiers, selon des journalistes de l'AFP et des témoins.
A Old Jeshwang, un quartier de la banlieue majoritairement peuplé de pêcheurs, les captures se sont faites rares en raison du départ en exil de nombre de ses habitants, selon des témoignages. Le poisson, le pain et les cartes de recharge de crédit téléphonique commencent à manquer, leurs vendeurs ayant fui la Gambie.
"Seules quelques boutiques ouvertes ont du pain ce matin et leur stock peut s'épuiser très vite", se lamentait mercredi Fatou Sarr, une résidente du quartier. "Si cette impasse dure une ou deux semaines, le pays va manquer de nourriture".
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Des départs étaient aussi enregistrés parmi les touristes, en majorité des Britanniques et des Néerlandais attirés par les plages de sable fin de ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest.
Le voyagiste britannique Thomas Cook a annoncé le rapatriement à partir de mercredi d'un millier de Britanniques en vacances en Gambie et va affréter quatre vols supplémentaires "dans les prochaines 48 heures". Il a également contacté 2.500 autres clients dans ce pays pour leur proposer un retour anticipé vers la Grande-Bretagne.
Le géant du tourisme TUI compte rapatrier également "environ 800" clients.
C'est que les prochaines heures sont cruciales pour le sort de la Gambie, plongée dans une grave crise depuis que Jammeh a annoncé le 9 décembre qu'il ne reconnaissait plus les résultats de la présidentielle du 1er décembre. Une semaine auparavant, il avait pourtant félicité M. Barrow pour sa victoire.
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Yahya Jammeh, qui dirige le pays d'une main de fer depuis 22 ans, affirme vouloir rester en place tant que la justice n'aura pas statué sur ses recours électoraux, malgré les pressions internationales pour qu'il cède le pouvoir jeudi après l'expiration de son mandat.
Le climat s'est encore alourdi lorsque Yahya Jammeh a décrété l'état d'urgence mardi après-midi, tout en exigeant des forces de sécurité de maintenir l'ordre.
Selon la Constitution, l'état d'urgence dure sept jours lorsqu'il est proclamé par le chef de l'Etat, mais peut être porté à 90 jours avec l'approbation de l'Assemblée nationale, qui l'a entériné mardi.
La proclamation, formulée en termes très généraux, "interdit de se livrer à des actes de désobéissance aux lois gambiennes, à l'incitation à la violence, ou troublant la paix et l'ordre public".
Yahya Jammeh a également ordonné aux forces de sécurité de maintenir l'ordre.
Ces développements interviennent alors que Adama Barrow, censé être investi jeudi, est accueilli depuis le 15 janvier au Sénégal à la demande de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO, 15 pays). Mais, à travers un de ses conseillers, Barrow a assuré cette semaine qu'il serait en Gambie pour prêter serment.
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La CEDEAO, qui presse Yahya Jammeh de céder le fauteuil présidentiel à l'expiration, mercredi soir, de son mandat, a notamment prévenu à plusieurs reprises qu'elle pourrait avoir recours à la force en dernier ressort.
Plusieurs autres pays et institutions ont multiplié leurs mises en garde à l'adresse de Jammeh, qui y demeure sourd.
Mardi, les Etats-Unis ont averti contre "un possible chaos". Le Nigeria, poids lourd régional et continental, a affirmé de son côté accélérer ses préparatifs militaires aériens.
Sous pression de l'étranger, Yahya Jammeh semblait aussi de plus en plus isolé dans son pays. En quelques jours, plusieurs de ses ministres ont fait défection, les derniers en date étant ceux des Affaires étrangères, des Finances, du Commerce et du Tourisme.
Des changements sont également intervenus dans l'armée: des officiers refusant de soutenir Jammeh contre Barrow, comme le leur demandaient des commandants de la Garde républicaine, chargée de la protection du président sortant, ont été arrêtés dimanche soir, selon une source de sécurité.