Mardi 4 juillet, quand l'ultimatum donné au Qatar par l'Arabie Saoudite et ses alliés a pris fin, ils ont choisi l'Egypte pour la réunion des chefs de leur diplomatie. Placer ce pays nord-africain au centre de la crise, à travers une rencontre aussi importante, est la meilleure manière de réaffirmer qu'il ne s'agit pas d'une querelle de hamman entre le Qatar et ses voisins, mais d'un différend qui dépasse le simple cadre du Conseil de coopération du golfe. C'est en tout cas, l'avis de Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherches sur le monde arabe et la Méditerranée (Cermam) dans une interview accordée au journal La Croix.
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Le chercheur qualifie le ralliement de l'Egypte à la cause de l'Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et du Bahreïn de "butin de guerre", tout comme l'est le soutien de la Jordanie, de la Mauritanie ou des Comores qui ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Les monarchies du Golfe n'ont pas pu embarqué avec elles l'Algérie ou le Soudan. Et quand le Maroc a décidé d'envoyer un avion de nourritures au Qatar, cela les a passablement irrités.
7,5 milliards de dollars retirés d'Egypte par le Qatar
Evidemment, limiter son explication à cela est trop réducteur. Puisque les relations entre le Qatar et l'Egypte se sont distandues depuis que les Frères musulmans ont été chassés du pouvoir par Abdel Fattah Al-Sissi. Il faut rappeler que l'année où les Frères musulmans sont montés au pouvoir, quand les difficultés financières de l'Egypte commençaient à se faire sentir, l'Emirat du Qatar avait déposé 7,5 milliards de dollars à la Banque centrale égyptienne. C'est ce qui avait permis de surmonter les difficultés de change liés à la chute des recettes touristiques. Cependant, dès que Mohamed Morsi a été déposé le 3 juillet 2013, le Qatar a changé de ton, réclamant à l'Egypte l'ensemble des fonds qui l'aidaient à sumonter sa mauvaise passe.
Le fait que la chaîne Al Jazeera serve de tribune aux Frères musulmans est un autre écueil que reproche l'Egypte au Qatar. Car, les frères musulmans, note l'expert, sont les seuls opposants à contester la légitimité du pouvoir d'Abdel Fattah Al Sissi. Dans le même temps, plusieurs membres de la confrèrie sont réfugiés au Qatar.
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Menace à peine voilée d'Arabie Saoudite
De plus, au-delà de ces tensions bilatérales, l'Egypte vit en partie grâce à l'aide que lui apporte l'Arabie Saoudite. Par exemple, si le pays est toujours approvisionné en hydrocarbures, c'est grâce à un contrat signé l'année dernière avec Aramco, la compagnie saoudienne du pétrole. Financièrement, ce contrat signé en mars 2016 est extrêment à l'avantage de l'Egypte. Puisqu'en réalité Aramco s'est engagé à livrer pendant 5 ans, 400 mille tonnes de gasoil, 200 mille tonnes de benzine et 100 mille tonnes de carburants diesel par mois. Cela représente, à terme, une dette totale de 23 milliards de dollars que l'Egypte ne devrait régler qu'au terme de quinze années, avec un taux d'intérêt de 2%. Autant dire qu'il s'agit d'une faveur d'un "pays frère".
D'ailleurs, quand l'Egypte a voté l'adoption d'une résolution russe au conseil de sécurité favorable à Bachar El Assad, l'Arabie Saoudite s'était empressée de suspendre les livraisons de pétrole d'octobre 2016 à Mars 2017. C'était une leçon qu'Abdelfattah Al-Sissi n'est pas prêt à oublier.
Rapprochement entre l'Arabie Saoudite et Israël
Evidemment, dans ce Moyen-Orient riche en ressources pétolières et où se trouve Israël, rien ne se fait sans que ne soient impliqués les Etats-Unis. L'arrivée de Donald Trump a été à l'orgine d'un changement majeur de l'attitude de l'administration américaine envers l'Iran. Elle est synonyme d'un réveil des tensions latentes et d'une exacerbation des conflits.
Selon cet expert, il ne faut pas s'étonner de voir une alliance entre Israël et l'Arabie Saoudite. Parce que l'Etat hébreu est "une aide inespérée dans la lutte acharnée contre l'Iran". Néanmoins, prévient Hasni Abidi, l'Arabie Saoudite pourrait y laisser des plumes en perdant sa crédibilité auprès de ses autres partenaires du Conseil de coopération du Golfe. "Le Koweit, qui joue un rôle de médiateur, et le Sultanat d’Oman, qui entretient de bonnes relations avec l’Iran, sont dans une position très réservée face au volontarisme de l’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite est très ambitieuse sans avoir les moyens de ses ambitions", conclut-il.