Ni John Fru Ndi a porté beaucoup de casquettes: vendeur de journaux, libraire, président d'un club de football, militant du parti au pouvoir pendant 3 ans, puis président du premier parti d'opposition depuis 1990... Mais il ne fait aucun doute qu'il restera dans l'histoire comme le challenger principal du président Paul Biya depuis presque trente ans.
Ce jeudi, à Bamenda, où il est né en 1941 et qui est resté au fil des ans le socle historique de son parti, le Social democratic front (SDF), Fru Ndi a immanquablement tourné une page: "Je ne présenterai pas ma candidature" à l'investiture du parti pour la présidentielle, a-t-il déclaré.
"J'ai décidé de céder ma place à mes jeunes cadets dans le parti", a-t-il continué à la tribune du congrès du SDF, en anglais, sous les hourras de militants venus de tout le pays.
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Charismatique autant qu'autoritaire au sein de son parti, le "Chairman" - président, comme il est surnommé - a jeté l'éponge de la quête du pouvoir après l'avoir brigué à trois reprises: en 1992, en 2004, et en 2011.
En 1997, réclamant un scrutin à deux tours, Fru Ndi boycotte l'élection.
Poing levé
D'abord militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti au pouvoir) à Bamenda, Fru Ndi y crée le SDF avec d'autres ténors en 1990, au début du multipartisme au Cameroun. Six personnes sont tuées dans la ville lors du lancement officiel du parti, en juillet.
Au fil des ans, Fru Ndi fera de "sa" ville un bastion imprenable, multipliant les discours sur Liberty Square, la place centrale de Bamenda, et haranguant une foule toujours acquise à sa cause. Dans les premières années du SDF, par son charisme, Fru Ndi s'impose vite comme le principal opposant du pays.
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Les foules, immenses, découvrent son poing levé et scandent en coeur ses slogans percutants: "Power to the people", "Paul Biya must go".
En 1992, perdant de l'élection avec 35,9% des voix contre 39,9% pour Paul Biya, il accuse le président de triche. Même s'il est assigné à résidence à Bamenda, Fru Ndi connaît là le sommet de son influence politique.
Ensuite, la rigueur qu'il applique au sein de son parti en excluant de nombreuses figures du SDF et la multiplication d'accusations de collusion avec le pouvoir, font peu à peu perdre à Ni John Fru Ndi sa capacité à mobiliser. Il dément à tour de bras et continue sa lutte.
En 2002, une dizaine de responsables du SDF démissionnent pour dénoncer sa "dérive autocratique". En 2004, il n'arrive guère à rassembler et ne gagne que 17,4% des voix à la présidentielle, derrière un Biya à 70,9%.
A la dernière présidentielle, en 2011, de nombreux ténors critiquent sa candidature. Il maintient le cap, et fait face, en plus de Biya, à d'anciens camarades du SDF qui ont quitté le navire.
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Las, il finit encore deuxième, à 10,7% des suffrages contre 77,9% pour Biya, mais garde la tête du parti, contre les attaques de plus en plus acerbes de ses cadres.
Récemment, il a dû faire face à un nouvel adversaire politique: la cause indépendantiste anglophone, qui a pris au fil des mois un poids considérable en régions anglophones, dont les habitants ont toujours été une réserve traditionnelle de voix pour le SDF.
Fru Ndi a toujours plaidé pour le fédéralisme. "La seule voie pour la survie de notre Nation repose dans l'institution d'un système de gouvernance fédéral", a-t-il encore déclaré jeudi.
"Il est immanquablement un des grands bâtisseurs de la démocratie au Cameroun. C'est un homme très courageux", estime à l'AFP Merlin Nanseu, militant du SDF.
S'il a tourné la page du graal présidentiel, Fru Ndi, 76 ans, n'entend pour autant pas en finir avec la politique: il brigue toujours une réélection à la tête du son parti, et a souligné, à la tribune jeudi, qu'il espérait que "l'enfant" qui sera désigné par le SDF pour la présidentielle fin 2018 ressemblera au "père".