Une alliance entre le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et les chefs de tribus de l'Est libyen répond à plusieurs objectifs: leur apporter un soutien armé, donner un vernis de légitimité en cas d'action directe, voire trouver des alternatives au maréchal Khalifa Haftar, homme fort de Cyrénaïque (l'Est de la Libye, ndlr) dont la cote a baissé au Caire.
En juillet, M. Sissi a ainsi reçu le Conseil suprême des tribus libyennes, avec ses cheikhs et ses doyens, lors d'une conférence organisée par le renseignement égyptien. Cette conférence intervenait dans le sillage de l'avancée vers l'Est des troupes du gouvernement d'union libyen (GNA), basé à Tripoli (nord-ouest) et soutenu par la Turquie, rival régional du Caire.
Dans le contexte actuel, le soutien égyptien est "vital" pour de nombreux chefs de tribus, a souligné lors de cette rencontre Abdel Salam Bohraka al-Jarrari, issu des tribus al-Achraf et al-Mourabitoun de Tarhouna, localité située au sud de Tripoli et loyale aux pro-Haftar.
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"Nous voulons une intervention militaire complète, aérienne et terrestre (...) et des armes neuves et sophistiquées", a-t-il encore déclaré à l'AFP après ses échanges avec M. Sissi, en arguant que des préparations avaient déjà débuté près de la frontière commune.
- "Manger des cailloux" -
Ouarfalla, Touareg, Berbères...: les tribus libyennes, dont l'histoire est jalonnée de luttes contre des forces étrangères, disposent de vieux réseaux d'allégeance, et d'une réelle influence, en particulier dans l'Est.
Certaines de ces tribus soutiennent le GNA reconnu par l'ONU, mais la plupart restent à ce jour alliées au camp Haftar, qui bénéficie du soutien de l'Egypte, des Emirats arabes unies et de la Russie.
Et face à l'avancée des pro-GNA, Arafallah Daynoum Hourra l'assure fièrement. "Nous avons des hommes qui peuvent manger des cailloux et les recracher", dit ce chef de la tribu al-Barassa, d'Al-Bayda, région à 800 km à l'est de Tripoli. Mais "le combat" est "inégal", poursuit-il.
La ligne de front se situe désormais à mi-chemin entre la capitale et Benghazi, le bastion de M. Haftar, au niveau de la ville de Syrte, verrou ouvrant la voie vers les principaux sites pétroliers du pays et la base aérienne militaire d'al-Jufra (sud).
Pour l'heure, les combats ont cessé, mais la libre circulation d'armes et de mercenaires trahissent un "calme trompeur", a jugé le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas.
La moindre offensive sur Syrte pourrait dès lors déclencher une confrontation directe entre Le Caire et Ankara, éventualité face à laquelle les Occidentaux ont réitéré les appels au calme.
- "D'une pierre deux coups" -
En juillet, M. Sissi a en effet averti qu'il ne laisserait pas la Turquie et le GNA conquérir Syrte, élevée au statut de "ligne rouge". Depuis, Le Caire a répété qu'il est ouvert au dialogue, mais sans renier sa menace.
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"L'armée égyptienne a reçu notre feu vert (...) pour attaquer immédiatement si les milices levaient ne serait-ce que le petit doigt à Syrte", affirme de son côté Saleh al-Fandi, chef du Conseil suprême des tribus libyennes.
Et "M. Sissi nous a dit, lorsque nous l'avons rencontré, que l'Egypte nous fournirait un appui aérien et terrestre si les Turcs" prenaient Syrte, poursuit-il.
Une intervention égyptienne est le seul moyen de faire cesser une guerre dont le principal enjeu est le pétrole libyen, renchérit Abdel Salam Bohraka al-Jarrari.
Expert de la Libye basé à La Haye, Jalel Harchaoui met en avant l'intérêt qu'a l'Egypte à soutenir activement ces tribus. Le Caire "espère faire d'une pierre deux coups": saper l'action d'Ankara, et se débarrasser d'un maréchal Haftar jugé incontrôlable, note-t-il.
Les Egyptiens "veulent diversifier les risques et ne plus dépendre d'un (homme) de 77 ans qu'ils trouvent trop capricieux et difficile à gérer", mais pour lequel aucune alternative crédible n'avait été identifiée, résume-t-il.
C'est pourquoi Le Caire "souhaite désormais dresser une sélection de figures libyennes (...) plus fiables, plus malléables et plus stables", selon lui.