Côte d’Ivoire: coupeurs de route, un phénomène encore persistant

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Le 27/01/2017 à 18h57

Les coupeurs de route, ces bandes armées qui dépouillent les voyageurs, refont surface dans le paysage sécuritaire ivoirien. Un phénomène que les autorités tentent de maîtriser, non sans difficulté.

En cinq mois, cinq personnes, dont un religieux, deux gendarmes et un officier des douanes, ont été tuées sur les routes ivoiriennes. Elles ont été victimes d’embuscades de bandits armés qui sévissent au nord et à l’est du pays, deux zones productrices de produits vivriers et de cacao.

En décembre dernier, les éléments de la gendarmerie de Bondoukou, Touré Moussa et Kouamé Kouakou étaient abattus alors qu’ils étaient en patrouille, victimes des coupeurs de route. Depuis, plus aucun mort n’a été enregistré dans cette région de l'est du pays, mais les embuscades de ces bandits n’ont jamais cessées et les voyageurs malchanceux se font dépouiller sans ménagement.

Les voyages sur les axes routiers du pays s'effectuent donc dans l’inquiétude et la peur, surtout à la tombée de la nuit. Bamoussa Traoré, un chauffeur de poids lourd qui emprunte régulièrement la route de l’Est» nous explique une scène surréaliste qui a eu lieu ce début d’année. Le 6 janvier dernier, après avoir quitté la ville d’Abengourou en direction d’Abidjan en début de soirée, il aperçoit de loin des véhicules stationnés. Renseignement pris, il se trouve que depuis un bon moment, aucun véhicule ne vient en sens inverse, ce qui n’a pas manqué d’alerter un car de transport, rejoint par une quinzaine de véhicules, en attente d’information. Après une bonne vingtaine de minutes, un car finit par arriver et les rassurer, avant que la colonne de plus d’une vingtaine de véhicules de tous gabarits ne se mette en branle.

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«Les coupeurs de route, franchement, ils nous mènent la vie dure», soupire-t-il, visiblement impuissant. «Il me faut faire deux rotations dans la journée entre Abidjan et Abengourou pour charger soit des marchandises, soit du cacao, mais quand je prends du retard dans la journée, c’est fichu. Je préfère généralement éviter les nuits», explique-t-il.

Au mois d’août dernier, sur cette voie, un officier de la direction des douanes d'Abengourou, a été abattu par des coupeurs de route. Peu avant, à une centaine de kilomètres de la zone, en allant vers le nord-est du pays, ces bandits s’étaient signalés et ont mis la main sur une somme de 15 millions Fcfa, appartenant à des pisteurs de cacao, dont la région est productrice.

Au Nord, la situation est actuellement à l’accalmie, à la surprise générale. Car la voie principale menant au Burkina Faso et au Mali, a toujours été le champ d’action privilégié des coupeurs de route. Une délégation d’officiels nigériens se rendant au SIBAO (Salon international de bétail et viande de l'Afrique de l'Ouest) d’ Abidjan en juin dernier y avait été attaquée. L’autobus a été immobilisé et mitraillé, sans faire de victime heureusement.

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Peu avant, un pasteur ivoirien en partance pour le Burkina Faso et l’épouse de l’ancien maire de Tafiré (nord de la Côte d’Ivoire) avaient été canardés, dans une embuscade de ces coupeurs de route. Provoquant la colère des populations qui n’exclut plus d’avoir recours aux chasseurs traditionnels «dozos» pour assurer la sécurité des voyageurs.

"Ils (les coupeurs de route) agissent à tout moment de la journée, mais surtout à la nuit tombée. C’est pourquoi il nous faut rouler à vive allure afin d’éviter que le coucher du soleil nous trouve en chemin. Le risque d'avoir ou de provoquer des accidents est réel, seulement nous n’avons pas le choix si on veut que les marchés soient approvisionnés", explique Lamine Traoré, un confrère de la presse écrite.

La plupart du temps, les ex-combattants de la crise ivoirienne sont désignés comme les principaux acteurs de ces attaques. Il faut dire qu’avec la circulation qui a eu cours durant une décennie dans la partie nord du pays, la tentation est bien réelle pour ces jeunes gens de s’adonner à une pareille activité.

S’il est vrai que les forces de l’ordre ne peuvent être partout à la fois, elles n’échappent pas aux critiques acerbes des populations qui les accusent d’arriver toujours après les forfaits des agresseurs. Au milieu des années 1990, la recrudescence du phénomène avait amené certaines sociétés de transports à recourir aux dozos, les chasseurs traditionnels, qui prenaient place à bord des cars pour intervenir en cas de besoin, avant que les autorités ne l’interdisent. En contrepartie, on avait multiplié les barrages de sécurité le long des axes principaux du pays ce qui offrait une certaine sécurité, sans pour autant mettre un terme au phénomène. Mais avec le racket auquel s’adonnaient les forces de l’ordre, ces check-point ont été supprimés depuis l’avènement de l’actuel régime.

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«Le gouvernement mise sur les patrouilles le long de ces grandes voies, mais la mesure n’est pas forcement efficace, vu qu’on ne peut pas garantir leur régularité » dénoncent les transporteurs, même s’ils saluent la suppression des barrages.

Pour la partie Est du pays, les autorités avaient mis en place l’opération «Vent d’Est» contre ces bandes armées, mais le phénomène s’est accentué dans d’autres zones du pays. «Nous avions observé une trêve, mais leurs activités se sont vraiment intensifiées avec une à deux attaques par semaine», constate un officier du Bataillon de sécurisation de l’Est qui a lancé l’opération.

Ce 26 janvier, ce détachement de l’armée ivoirienne a connu la nomination à sa tête, du Lieutenant-colonel Morou Ouattara, ex-chef de guerre dans l’ex-rébellion. Il était chargé de la sécurité du président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro. «Nous espérons qu’avec sa pugnacité, les forces de l’ordre viendront à bout de ces bandits», espère Honoré Kouamé, pisteur de cacao à Bondoukou, joint au téléphone depuis Abidjan.

Une autre solution est actuellement à l’œuvre dans le pays. La toute récente autoroute du Nord, reliant Abidjan à Yamoussoukro, est dotée de caméras de surveillance qui permettent aux forces de sécurité d’être alertées en cas de stationnement suspects sur ce trajet. Une approche technologique qui reste exceptionnelle et qui n’en n'est qu’à ses débuts. En attendant, les voyages de jour restent plus sûrs pour ne pas risquer de se retrouver nez-à-nez avec les détrousseurs.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 27/01/2017 à 18h57