Guinée: les pharmaciens face au marché parallèle

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Le 05/03/2017 à 14h52, mis à jour le 05/03/2017 à 17h31

La 19e assemblée générale de l'Association africaine des centrales d'achat de médicaments essentiels (ACAME) s'est achevée vendredi 3 mars à Conakry après trois jours de travaux. Les acteurs sont unanimes: le problème majeur du secteur reste le marché illicite. La Guinée ne fait pas exception.

La loi 094 du 22 mars 1991 confère l'exclusivité de la vente des médicaments aux pharmacies réglementaires guinéennes. Il reste qu'aujourd'hui, ce sont les clandestins qui détiennent la part du lion du marché pharmaceutique dans le pays. Les dernières statistiques douanières attribuent plus de 70% de ce marché aux non-professionnels. Selon l'ordre des pharmaciens de Guinée, le marché parallèle détient des faux médicaments d'une valeur de plus de 800 milliards de francs guinéens. Il existe d'ailleurs dans le pays un Collectif de vendeur de médicaments qui concurrence l'Ordre des pharmaciens.

Face à l'agressivité du marché noir, le Syndicat des pharmaciens et le ministère de la Santé ont lancé en 2015 une commission spéciale de lutte contre les faux médicaments. Sa mission principale: récupérer le monopole conféré aux professionnels par la loi. Trois mois après sa création, la Commission avait réussi à faire incinérer une centaine de tonnes de médicaments falsifiés importés ou produits en Guinée. Depuis, la lutte a connu un certain relâchement, permettant un regain des activités du trafic de faux médicaments dans le pays. En novembre dernier, deux camions remplis de faux médicaments ont été saisis alors qu'ils étaient prêts à déverser leur contenu sur le marché de Kankan — deuxième ville du pays.

"Je continue à me battre pour récupérer le monopole de la vente des produits pharmaceutiques ", a indiqué Dr Manizé Kolié, secrétaire général du Syndicat des pharmaciens de Guinée, en marge de l'ACAME. Selon ce doyen, les clandestins ont fait fuir les fabricants de médicaments en Guinée, et le pays n'existe plus sur la carte pharmaceutique mondiale. "Si vous amenez aujourd'hui un produit pharmaceutique en Guinée, demain on vous reproduit des milliers de tonnes de ce même produit, mais faux... C'est ce qui décourage les laborantins et les qui amène à aller s'installer ailleurs", a-t-il expliqué au site Guineenews. Pourtant, il reste convaincu qu'une gestion du secteur pharmaceutique par les professionnels rapporterait facilement à l'Etat les 500 milliards de francs guinéens dont il a besoin pour payer ses enseignants.

Il reste que la récupération du monopole s'avère difficile. En effet, beaucoup de Guinéens font encore confiance aux médicaments vendus en dehors des pharmacies. «Dans la mentalité du Guinéen, la pharmacie est chère», estime Mamadou Danèh Diallo, porte-parole du Collectif des vendeurs de médicaments. En effet, la pharmacie est non seulement chère pour le Guinéen lambda, mais elle est surtout rare dans certaines zones du pays. La Guinée n'a pas plus de 400 pharmacies réglementaires – hormis celles des hôpitaux publics – pour plus de 12.000 habitants répartis sur une superficie de 245.857 kilomètres carrés. " Tant que les vendeurs hors cadre trouveront des clients, chaque mesure prise pour éradiquer le phénomène ne sera qu'un feu de paille ", soutient Mamadou Danèh Diallo. " Ce marché a d'ailleurs plus d'avantages que d'inconvénients. Il sort bien sûr du cadre législatif et règlementaire et le risque d'intoxication est là, mais c'est lui qui assure la fourniture des médicaments à bon coût de la population sur toute l'étendue du territoire national ", estime Diallo dans une interview accordée au site Guineematin. " C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'Etat a longtemps fermé les yeux sur l'existence de ce marché ", croit-il. D'ailleurs, Diallo estime qu'après 20 ans d'exercice dans une activité, on y est forcément professionnel.

Il y aussi que le marché Madina, plateforme de la vente illicite de médicaments dans la capitale, reste le lieu d'approvisionnement de beaucoup de pharmacies agréées. En conséquence, des citoyens estiment "qu'il n'y a aucune différence entre le médicament de la rue et celui des pharmacies". "C'est vrai, tous les pharmaciens n'ont pas les moyens de s'approvisionner chez les grossistes légaux ", avoue Manize Kolié.

Les pharmaciens accusent l'Etat du laisser-aller qui frappe le secteur depuis des décennies, et l'invite à faire autant que la Côte d'Ivoire ou le Rwanda qui sont parvenus à prendre des mesures draconiennes contre le phénomène de vente illicite de produits pharmaceutiques. "Aucun des gouvernements qui se sont succédé à la tête de ce pays ne s'est occupé du secteur. Il y a un laisser-aller qui ne dit pas son nom. N'importe qui fait n'importe quoi dans ce domaine. Sans quoi, comment admettre l'existence d'un collectif des vendeurs de médicaments ", fustige Fodé Oussou Fofana, président de l'Ordre des pharmaciens de Guinée.

Pour les pharmaciens, l'Etat doit aussi revoir la licence des grossistes distributeurs de médicaments. La Guinée à elle seule compte 185 sociétés grossistes, alors que 9 pays de la sous-région ne totalisent que 29 sociétés. «On ne sait vraiment pas qui importe quel médicament en Guinée. Il n'y a pas de contrôle sérieux pour empêcher l'importation des médicaments contrefaits», déplore Dr Manize Kolié.

Par Mamourou Sonomou (Conakry, correspondance)
Le 05/03/2017 à 14h52, mis à jour le 05/03/2017 à 17h31