Covid-19. Réouverture des frontières: voici pourquoi les Africains risquent de rester à quai

Pays de l'Union européenne.

Pays de l'Union européenne. . DR

Le 02/06/2021 à 14h33, mis à jour le 02/06/2021 à 14h35

Avec la décrue des contagions, l’heure est à la réouverture des frontières européennes. Toutefois, pour pouvoir voyager, il faudra montrer patte blanche, en présentant notamment un certificat de vaccination contre le Covid-19. Un handicap pour les Africains qui souhaitent se rendre en Europe.

Depuis quelques semaines, et un peu partout dans le monde, les annonces de réouverture des frontières se multiplient dans le sillage de la baisse significative des contaminations au Covid-19, expliquée par l’effet des campagnes de vaccination.

Les 27 pays de l’Union européenne ont finalement trouvé un accord. Les voyageurs étrangers totalement vaccinés pourront ainsi se rendre en Europe cet été. Une décision qui aidera à la relance du secteur du tourisme du vieux continent pour la saison estivale 2021.

A ce titre, dans le cadre du processus de déconfinement entamé par plusieurs pays européens, l’UE a déjà annoncé qu’elle va accueillir, sans restriction, tous les voyageurs vaccinés des autres pays tiers et ce, à partir du 9 juin courant, date à partir de laquelle les Etats membres de l’UE établiront la liste des pays extra-européens dont les ressortissants pourront entrer librement dans l’espace européen.

Certains pays n’ont pas attendu cette date pour annoncer l’ouverture de leurs frontières. C’est le cas de l’Espagne qui souhaite relancer son tourisme et donc son économie durement affectée par la pandémie du Covid-19. Le 21 mai dernier, le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, annonçait qu’à partir du 7 juin, «toutes les personnes vaccinées», quel que soit leur pays d’origine, seront autorisées à venir en Espagne.

Reste que ces ouvertures des frontières européennes risquent de ne pas profiter aux voyageurs africains. 

Et pour cause, en dépit des ouvertures annoncées des frontières, l’Union européenne continuera à être sélective. D'abord, elle a prévu de mettre au point une liste de pays plus ou moins dangereux, classés par couleur -vert, orange et rouge- dressée à destination des voyageurs qui ne sont pas du continent européen. Ainsi, pour les voyageurs de pays tiers venant d’un pays classé «vert», seul un test négatif au Covid-19 est demandé aux touristes souhaitant entrer sur le territoire européen. Les ressortissants des pays classés «orange» devront disposer d’une attestation de vaccination contre le Covid-19. Enfin, les touristes des pays figurant sur la liste «rouge» européenne seront interdits d’entrée en Europe «en raison de la gravité des variants». C’est le cas du Brésil, de l’Inde, ….

Pour les pays figurant sur les listes «orange» et «vert», les pays détermineront les modalités d’entrée dans l’espace européen: contrôles sanitaires minimum, tests PCR, vaccination contre le Covid-19…

Globalement, au pire des cas, seuls deux pays africains risquent de figurer sur la liste rouge. L’Afrique du Sud à cause de son variant et la Tunisie qui continue d’enregistrer des taux de contagions au Covid-19 élevés, proportionnellement au nombre de tests effectués quotidiennement. Les 52 autres pourraient y échapper.

Toutefois, pour Jean-Pierre Mas, président des Entreprises de voyages (EDV), les trois pays d’Afrique du Nord –Maroc, Algérie et Tunisie- ne devront plus faire partie de la liste des pays classés rouges, justifiant cela par «la pression touristique» et «la pression affinitaire».

Reste que du fait de la faiblesse des tests effectués au niveau du continent où les contaminations au Covid-19 sont sous estimées et de la fiabilité des données, la grande majorité des pays du continent risquent de se retrouver sur la liste «orange» de l’Union européenne. Et cela va constituer un problème majeur pour les voyageurs africains.

Ensuite, la condition fondamentale qui est exigée aux voyageurs est la vaccination. Ce sera la condition principale pour accéder à l’espace européen. Seulement, dans le contexte actuel, cette condition est handicapante pour le continent africain. En effet, si l’Afrique est le continent le moins touché par la pandémie du Covid-19 avec 4,89 millions de cas de Covid-19 confirmés sur 172 millions de cas recensés dans le monde, soit 2,84% des cas confirmés à l'échelle de la planète, pour 131.317 décès sur un total de 3,58 millions de morts du Covid-19, soit 3,83%.

Parallèlement, l’Afrique est aussi le continent le moins vacciné au monde avec environ 8 millions de personnes totalement vaccinées sur un total mondial de plus de 450 millions de personnes vaccinées. Et sur ces 8 millions, il faut souligner que 5,64 millions, soit plus de 70,50%, sont concentrés au Maroc.

Outre le faible approvisionnement du continent en vaccins avec seulement 33 millions de doses reçues sur un total mondial avec plus de 2 milliards de doses livrées, l’Afrique fait face aussi à la réticence de sa population à se faire vacciner. Cela est particulièrement vrai en Afrique subsaharienne où de nombreux lots de doses de vaccins ont été détruits faute de candidats. Outre le fait que la maladie soit considérée comme moins dangereuse que les pandémies existantes, les Africains ont globalement une méfiance envers les campagnes de vaccination.

En clair, le critère de vaccination sera un obstacle majeur pour l’accès à l’Union européenne pour nombre d’Africains souhaitant se rendre sur le vieux continent.

De plus, tous les Africains vaccinés ne pourront pas entrer dans l’espace européen. En effet, les types de vaccins administrés seront aussi un handicap. Ayant choisi les vaccins disponibles, bons marchés et plus faciles d'utilisation du point de vue stockage et logistique, les Africains risquent d’être pénalisés par certaines dispositions des pays européens qui limitent la vaccination reconnue à seulement 4 vaccins pour le moment, ceux homologués par l’Agence européenne du médicament (EMA): trois américains –Pfizer, Moderna et Johnson&Johnson- et un européen –AstraZeneca-Oxford.

En conséquence, ceux qui ont été vaccinés avec les vaccins chinois et russes risquent de voir leur accès à l’espace européenne, où à certains pays de cet espace, réduit.

Or, plus de la moitié des Africains vaccinés le sont via les vaccins chinois des laboratoires Sinopharm et Sinovac. Cela pour plusieurs raisons. D’abord, la Chine a envoyé des millions de doses sous forme de dons aux pays africains. Ainsi, plusieurs pays du continent n’ont vacciné qu’avec des vaccins chinois.

Ensuite, depuis la suspension par l’Inde des exportations de vaccins de Serum Institute of India pour faire face à l’explosion des cas de Covid-19 dans la péninsule, les laboratoires chinois sont devenus les seules alternatives d’approvisionnement en vaccins pour les pays qui souhaitent en acquérir. C’est ainsi que le Maroc s’est tourné vers le marché chinois pour acquérir des millions de doses auprès de Sinopharm.

C’est le cas aussi de l’Egypte qui compte se lancer à partir de ce début du mois de juin dans la fabrication des vaccins Sinopharm et Spoutnik V.

Conséquence, les millions d’Africains immunisés avec les vaccins russes et chinois risquent de ne pas accéder à l’espace européen, même si les 27 ont assoupli dernièrement leur décision en y ajoutant les vaccins qui ont reçu l’homologation d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Seulement, si les vaccins chinois Sinopharm et Sinovac ont reçu les homologations de l’OMS, tout dépendra de la volonté de chacun des pays européens d’accepter ou non les personnes vaccinées avec ces sérums chinois. Ainsi, si l’Espagne semble souple en acceptant toute personne vaccinée, la France, quant à elle, reste catégorique en considérant les personnes vaccinées qui peuvent accéder à son territoire, celles ayant reçu l’un des quatre vaccins: Pfizer, Moderna, Johnson&Johnson et AstraZeneca-Oxford.

Enfin, à l’instar des vaccins, les ouvertures des frontières aériennes conditionnées au «pass sanitaire» seront discriminantes envers les Africains. Une décision qui est loin de faire l’unanimité. «Nous n’approuvons pas le fait qu’un passeport de vaccination soit une condition pour voyager», a souligné Bernardo Mariano, directeur de la Santé et de l’innovation de l’OMS, sur BBC.

Par Moussa Diop
Le 02/06/2021 à 14h33, mis à jour le 02/06/2021 à 14h35