Maroc-CEDEAO: bienvenue dans une puissance économique continentale

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Le 25/02/2017 à 16h14, mis à jour le 25/02/2017 à 17h00

Avec quelque 730 milliards de dollars de PIB, la CEDEAO est considérée comme l'une des vingt premières économies du monde et réalise une très forte croissance annuelle. Elle est également citée en exemple en matière d'intégration avec son passeport et sa carte d'identité unique.

Il fallait juste avoir un peu le sens de la prospective pour savoir, à partir du 31 janvier dernier, que le Maroc allait chercher une autre voie pour parfaire son intégration régionale. C’est en effet à cette date que le roi Mohammed VI, à Addis-Abeba devant la Conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine a donné les pistes de ce qui allait arriver.

D’abord, le souverain marocain montre sa déception de l’Union du maghreb arabe (UMA), en prenant le soin de faire un simple constat et de n’accuser personne. "Le Maroc a toujours considéré qu’il faut d’abord puiser sa force, dans l’intégration de sa sous-région maghrébine. Or, force est de constater que la flamme de l’UMA s’est éteinte, parce que la foi dans un intérêt commun a disparu!"

Ensuite, et c’est là qu’il annonce la couleur, il signale le retard pris par rapport aux autres organisations régionales. "Alors que le commerce intra-régional s’élève à 10% entre les pays de la CEDEAO, et à 19% entre les pays de la SADEC, il stagne à moins de 3% entre les pays du Maghreb".

On pouvait se douter que l’homme d’action qu’est Mohammed VI n’allait pas en rester à un simple constat. La demande du Maroc d’intégrer la CEDEAO arrive tout naturellement ce vendredi 24 février, moins d’un mois après la réintégration de l’Union africaine.

La CEDEAO est bien sûr un peu plus que 10% d’échanges intra-régionaux, notamment par les efforts d’intégration déjà réalisés, même si beaucoup estiment que les résultats sont dans l’ensemble moyens.

Il convient de noter que "les chiffres du commerce intra-régional doivent toutefois être relativisés", comme le souligne la commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), dans le rapport consacré au 40e anniversaire de la CEDEAO. La CEA en veut pour preuve le rapport de la CNUCED (2013, p. 19) qui affirme que "les estimations concernant les échanges transfrontaliers informels réalisés en Afrique de l’Ouest montrent que ceux-ci pourraient représenter 20% du PIB au Nigéria et 75% du PIB au Bénin (Afrika and Ajumbo, 2012)". Alors qu’officiellement, les importations du Nigeria en provenance des pays de la CEDEAO ne sont que de 3% en 2012, 3,4% en 2011 ou 2,4% en 2010.

Une zone de potentiel

Ces estimations de la CNUCED laissent entendre que la part réelle du commerce intra-africain dans le total des échanges est plus élevée que le chiffre officiel. Il faut également noter que les enjeux économiques sont importants. En effet, l’Afrique de l’Ouest représente à elle seule le quart des habitants du continent avec quelque 320 millions d’âmes, dont plus de la moitié au Nigéria. C’est donc un excellent marché, qui a tant besoin d’économies émergentes comme le Maroc et le Nigeria capables d’être de véritables locomotives, qui offre des opportunités à l’ensemble des 15 pays membres.

Il faut souligner que la zone Ouest-Africaine abritait jusqu’en juillet dernier la première économie du continent, avant un nouveau calcul du FMI qui reclasse le Nigeria en deuxième position derrière l’Afrique du Sud. Selon les données du FMI et de la Banque mondiale, le PIB des 15 pays de la CEDEAO représente autour de 730 milliards de dollars, ce qui la classe parmi les 20 premières économies du monde.

Mais au-delà de la taille, c’est surtout la croissance enregistrée au cours des dernières années qui attire l’attention. Car, son PIB a augmenté de 6,3% en moyenne entre 2007 et 2012, avant d’enchaîner avec 5,7% en 2013, 6% en 2014 et 3,1% en 2015.

Evidemment, il y a de grandes diversités, car on a dans cette même zone, le géant nigérian qui veut la place de première économie partageant sa frontière avec le Niger qui est l’un des pays les plus pauvres au monde.

Sur le plan institutionnel, la CEDEAO est souvent citée en exemple du fait des avancées réalisées dans l’intégration. Par exemple, au moment où les Camerounais doivent demander le visa pour se rendre au Gabon voisin, les 15 pays de la CEDEAO ont rendu effectif le passeport unique. Il ne faut pas s’étonner de voir aux aéroports de Dakar, Abidjan, Lagos ou Bamako un guichet réservé exclusivement aux citoyens de la CEDEAO. Evidemment, au niveau des frontières terrestres, les tracasseries existent et sont souvent dénoncées aussi bien par les personnes physiques que par les transporteurs de marchandises. Théoriquement, la libre circulation des biens est également consacrée avec la mise en place depuis janvier 2001 de la zone de libre-échange CEDEAO.

Aujourd'hui, la CEDEAO s'est rendue compte, 20 ans après l'Union européenne, que seule la monnaie unique serait capable d'accélérer l'intégration économique. Ainsi, il existe un projet très avancé dans ce sens, visant à mettre en place la devise sous-régionale dans les trois prochaines années à l'horizon 2020. 

Par ailleurs, sur le plan politique la CEDEAO vient de démontrer que c'est aussi un ensemble qui sait faire entendre sa voix. En effet, elle a réussi à pousser à la sortie Yahya Jammeh en mobilisant sa Force africaine en attente qui est un corps militaire de l'Union africaine. Ce n'est pas la première fois, puisque en juillet 2003, pour stabiliser le Libéria, c'est également sa force sous le nom de l'Ecomog qui s'était imposée. 

C'est donc à cet ensemble que le Maroc veut désormais s'intégrer, en adoptant les contraintes et en saisissant tout ce qu'il offre comme opportunités. Il faut noter également, que le royaume chérifien dispose du plus important système financier du continent après l'Afrique du Sud et d'une industrie qui base sa croissance sur des secteurs modernes comme l'automobile, l'aéronautique, l'électronique et l'électrique. Son économie ne cesse d'étrenner les superlatifs dans d'autres domaines comme l'agriculture, le tourisme ou les infrastructures. La future CEDEAO risque de bouleverser tout ce à quoi on a eu droit jusqu'ici. Ce sont 115 milliards de dollars et un marché supplémentaire de 33 millions d'habitants qui viendront s'y ajouter. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 25/02/2017 à 16h14, mis à jour le 25/02/2017 à 17h00