Inflation à deux chiffres et hyperinflation: quand l'Afrique paie le prix de ses erreurs passées

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Le 18/07/2022 à 13h47, mis à jour le 18/07/2022 à 14h53

La crise en Ukraine, la flambée des cours des hydrocarbures et des produits agricoles, ainsi que les pénuries de divers produits constituent un cocktail explosif à l’origine d’une poussée inflationniste en Afrique. Malgré les mesures étatiques, le pouvoir d’achat des Africains est en chute libre.

La flambée inquiétante des prix est telle que dans de nombreux pays africains, plusieurs produits alimentaires sont devenus inaccessibles aux citoyens. Par exemple, au Zimbabwe, où le taux d’inflation a atteint 191,6% en juin, contre 60% au début de l’année, la viande est devenue un «produit de luxe». Ainsi, pour obtenir 5 pilons de poulet, il faut débourser 65,22 dollars, soit l’équivalent du salaire moyen d’un fonctionnaire, selon Le Monde.

Si le cas du Zimbabwe est exceptionnel, la flambée inflationniste est générale. La perte de pouvoir d’achat touche aujourd'hui tous les Africains notamment à cause des hausses des prix, supérieures à celles de 2008 qui avaient entrainé des «émeutes de la faim» dans de nombreux pays du continent.

Un survol des taux enregistrés dans certains pays permet d’avoir une idée du niveau de la baisse du pouvoir d’achat des Africains. Il faut toutefois noter que les taux annoncés sont souvent biaisés par les autorités et/ou par des modes de calcul basés sur des paniers de produits loin de correspondre à la réalité des consommations des ménages. Mais il n’en demeure pas moins que l’inflation est à deux chiffres dans de nombreux pays du continent, même les plus importants.

A commencer par le Nigeria. La première puissance économique d'Afrique a vu son indice des prix à la consommation (IPC) s’établir à 18,72%, soit le taux le plus élevé enregistré depuis 2017, suite à la forte hausse des prix des carburants, que le pays importe en dépit de son rang de premier producteur de pétrole du continent, et surtout du fait de la flambée de l’indice des prix alimentaires qui a atteint 20,60%.

En Egypte, le taux annuel d’inflation sous-jacente s’est établi à 14,6% en juin, après avoir atteint 15,3% en mai, dans le sillage de la crise en Ukraine. Le premier importateur de blé au monde subit durement l’impact de la flambée des cours de cette céréale dont elle importe 13 millions de tonnes par an.

Même le Ghana, un pays qui affiche l’un des taux de croissance parmi les plus robustes du continent, fait face lui aussi à une flambée inquiétante des prix. En juin dernier, le taux d’inflation annuel s’est accéléré pour s’établir à 29,8%.

Mais la palme revient au Zimbabwe, où les prix ont plus que doublé en l’espace de deux mois et où l’inflation est passée de 96,4% en avril à 191% en juin.

Au niveau des pays connus pour leur taux d’inflation très bas, comme le Maroc et les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), l’inflation inquiète. Au Maroc, selon le HCP, l’escalade des prix à la consommation se poursuit. Les prix ont grimpé de 6,3% au cours du deuxième trimestre de 2022, contre 1,6% pour la même période de 2022. «Cette accélération est la résultante de la progression de 9,5% des prix alimentaires et de 4,1% de ceux des produits non-alimentaires», explique l'institution, ajoutant que l'inflation devrait s’établir, cette année, à 4,9%, contre 3,2% en 2021 et 0,1% en 2020. De son côté, la banque centrale prédit une inflation à 5,3% pour toute l’année 2022.

Ce niveau bas de l’inflation au Maroc s’explique par l’intervention accrue du gouvernement pour atténuer l’impact de la hausse des prix des carburants et de certains produits alimentaires sur les ménages. C’est le cas particulièrement au niveau des carburants, où la hausse des prix à la pompe qui se poursuit depuis le début de l’année n’a pas été répercutée au niveau du transport des passagers et des marchandises.

Dans les pays l’UEMOA, qui affichent ensemble un des taux d’inflation les plus bas du continent, grâce notamment à l’ancrage de leur monnaie, le franc CFA, à l’euro à travers une parité fixe, et aux seuils d’inflation fixés par la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la hausse des prix est au rendez-vous avec une inflation qui a atteint 6,9% en juin et qui devrait se situer au-dessus de 6% au titre de l’année en cours.

Mais l'inflation moyenne de ces 8 économies ouest-africaines -Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Burkina Faso, Mali, Niger et Guinée-Bissau- cache des divergences énormes. Ainsi, le Sénégal, pays réputé pour son taux d’inflation généralement très bas, a vu celui-ci atteindre en juin un niveau historiquement élevé en s’établissant à 8,9%, selon l’Indice harmonisé des prix à la consommation (IHPC), correspondant à la plus importante perte de pouvoir d’achat subie par les ménages de toute l’histoire du pays, à cause notamment de la flambée des prix des produits alimentaires (+14,1%).

Notons que cette situation n'est pas unique à l’Afrique. Même les Etats-Unis sont durement touchés par la flambée inflationniste avec une hausse des prix atteignant 9,1%, à cause particulièrement de l’envolée des prix de l’essence, soit le plus haut niveau atteint depuis 1981, menaçant la croissance économique américaine.

Facteurs

Plusieurs facteurs expliquent cette flambée inflationniste en Afrique, dont deux principaux. D’abord, il y a l’impact de la flambée du cours du baril de pétrole. Le cours du baril du Brent de la mer du Nord est passé de 66,47 dollars en début d’année (3 janvier 2022) à 127,06 dollars le 8 mars, soit une hausse de 91%, avant de reculer à 103,66 dollars ce matin du 18 juillet, ramenant la hausse depuis le début de l’année à 56%. Ce qui est considérable sachant l’impact de la hausse du carburant sur l’inflation dans un pays.

Corollairement, le prix du fuel et du kérosène ont fortement augmenté, impactant ceux du fret maritime et aérien avec des répercussions sur les prix de tous les produits importés par les voies maritimes et aériennes. De même, à l’intérieur des pays, les prix à la pompe ont fortement augmenté sous l’effet combiné de la flambée des cours sur le marché international et, dans certains pays, des pénuries de carburants. De plus, au niveau africain, la flambée des cours des carburants est aggravée par la manque cruel de raffinerie de pétrole créant une dépendance du continent vis-à-vis des importations.

Ensuite, il y a la flambée des cours des produits agricoles, notamment les céréales, les oléagineux et les produits laitiers, dont les pays africains sont de grands importateurs. Ainsi, le cours du blé est passé de 250 euros la tonne à fin 2021 à 342,25 euros le 17 mai dernier avant de baisser à 342,75 euros le 14 juillet, entrainant la hausse du prix de la farine et par ricochet celui du pain dans presque tous les pays, en dehors de ceux de l’Afrique du Nord où une hausse du prix du pain est synonyme de révolte.

Bref, il s’agit globalement d’une inflation importée qui a été aggravée par des sécheresses qui sévissent dans de nombreuses régions du continent et qui ont réduit considérablement les productions agricoles, les dépréciations des monnaies africaines vis-à-vis du dollar américain, ainsi que les pénuries entrainant des déséquilibres entre l'offre et la demande de nombreux produits.

Intervention des Etats

A noter que dans presque tous les pays africains, la situation allait être plus catastrophique sans l'intervention des Etats (subventions, soutiens directs aux ménages, suppression des taxes et droits de douane…). Des mesures nécessaires prises par les gouvernements pour atténuer l’impact inflationniste sur les ménages et éviter des troubles sociaux comme ceux des «émeutes de la faim» de 2008. Ainsi, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, par exemple, les factures des subventions ont atteint respectivement 405 milliards FCFA et 317 milliards FCFA au titre du premier semestre 2022.

Outre les subventions, les autorités de certains pays ont adopté des mesures qui ont contribué à freiner l’inflation de certains produits, comme le plafonnement des prix de certains produits alimentaires et les interdictions d’exportation de certains produits alimentaires de base. A titre d'illustration, en Côte d’Ivoire, en mars dernier, les autorités ont plafonné les prix de plusieurs produits alimentaires (riz, sucre, tomate, pâtes alimentaires, huile de palme raffinée, viande de bœuf…), élargi les produits et services dont les prix sont règlementés (gaz, eau, électricité, postes et télécommunications…) à d’autres produits alimentaires (farine, pain, riz local, viande, huile de table raffinée, matériaux de construction…) et interdit les exportations de ces produits.

D’autres Etats africains, en plus des subventions, ont apporté des soutiens directs à certains secteurs dans le but d’atténuer l’impact inflationniste. C’est le cas du Maroc, où le gouvernement a doublé le budget consacré à la subvention de certains produits (gaz butane, farine, sucre…) pour atteindre 32 milliards de dirhams, soit plus de 3 milliards d’euros, et apporté des soutiens directs aux transporteurs de passagers et de marchandises afin de les empêcher de répercuter la hausse du prix à la pompe sur les usagers. A ce titre, l’Etat a décaissé depuis avril dernier plus de 1,4 milliard de dirhams pour atténuer l’impact de la hausse des carburants. Une situation qui a permis de maintenir les tarifs des transports urbains, inter-urbains et des marchandises à leur niveau d’avant la flambée, et ce, malgré le fait que les prix à la pompe du diesel et de l’essence sans plomb soient passés de respectivement 10,10 dirhams et 11,80 dirhams le litre en début 2022 à 15,98 et 17,80 dirhams le litre à la mi-juillet, soit des hausses respectives de 58,22% et 50,85%.

En outre, face à la hausse des prix des produits alimentaires de première nécessité, certains Etats ont tout simplement renoncé à certaines taxes et droits de douane, rendant ainsi ces produits moins coûteux aux importateurs et poussant ceux-ci à ne pas répercuter ces exonérations sur le consommateur final.

Enfin, les banques centrales de nombreux Etats du continent ont relevé leurs taux directeurs pour faire face à l’inflation en freinant la consommation. C’est le cas de l’Egypte, de la Tunisie, du Ghana, du Nigeria, de l’Afrique du Sud…

Toutefois, jusqu’à présent, ces politiques n’ont pas permis d’inverser le trend haussier de l’inflation. Et pour cause, il s’agit d’une inflation importée et qui persiste à cause de la flambée des cours du pétrole et des produits agricoles. Seule une inversion des tendances haussières des cours sur le marché mondial devrait atténuer la tendance inflationniste durant le second semestre de l’année. Un pari loin d’être gagné à cause des incertitudes liées à la fin de la guerre en Ukraine et aux prochaines récoltes céréalières dans le monde.

Néanmoins, ces mesures prises par les Etats africains ont permis, jusqu’à présent, d’atténuer l’impact de la flambée des prix sur les consommateurs. Mais, elles doivent rapidement céder la place à des interventions qui auront des portées structurelles en réduisant la dépendance des pays du continent vis-à-vis du marché mondial. Et cela est possible avec plus de volonté politique de la part des dirigeants africains.

Corriger les erreurs du passé

Au niveau des carburants, si on compte 48 raffineries de pétrole en Afrique, plus du tiers de ces unités sont à l'arrêt faute d'entretien ou simplement abandonnées, et celles qui fonctionnent encore ont des capacités de traitement généralement faibles. Du coup, des pénuries de carburants sont signalées dans de nombreux pays du continent, y compris chez les premiers exportateurs d'hydrocarbures (Nigeria, Angola...).

La solution à ce problème passera donc par la mise en place de raffineries de pétrole au niveau des plus grands producteurs africains de l’or noir (Nigeria, Angola, Libye, Algérie…) et au niveau de ceux qui ont de fortes demandes en carburants (Afrique du Sud, Ethiopie, Maroc...). A cet égard, le Nigeria, qui compte 4 raffineries à l'arrêt devrait inaugurer, la 6e plus grande raffinerie de pétrole du monde d’ici quelques mois et devenir indépendant des importations de carburants. Le pays devrait même approvisionner ses voisins de l’Afrique de l’Ouest et centrale. L’Angola aussi s’est inscrit dans la même lignée et est en train d’accroitre ses capacités de raffinage. Des ambitions similaires sont partagées par le Ghana et d’autres pays du continent qui semblent avoir tiré une leçon de cette crise ukrainienne, de la flambée des prix du pétrole et des pénuries de carburant.

De même, au niveau des produits agricoles, disposant d’importantes réserves foncières de terres arables non exploitées, l'Afrique a globalement négligé son secteur agricole pour dépendre, depuis des décennies, des importations de produits agricoles. Une situation qui a entrainé la dépendance accrue des pays du continent à l'égard des importations et dons alimentaires des pays développés, sacrifiant ainsi leur agriculture.

Avec la nouvelle donne, plusieurs pays africains envisagent désormais de corriger leurs erreurs du passé en accordant plus d’importance à leur secteur agricole pour plus d’autosuffisance alimentaire. Et la Banque africaine de développement (BAD) s’est engagée à apporter son soutien via une Facilité africaine de production alimentaire de 1,5 milliard de dollars afin d’aider les pays du continent à accroître rapidement leur production agricole en permettant rapidement la production de 11 millions de tonnes de blé, 18 millions de tonnes de maïs, 6 millions de tonnes de riz et 2,5 millions de tonnes de soja. L’institution a déjà commencé à débloquer des fonds dans ce sens.

De nombreux pays ont aussi décidé de faire face à ce défi. Ainsi, pour la Côte d’Ivoire, en plus des mesures urgentes, le gouvernement compte mettre en place des solutions durables pour ne plus subir des inflations cycliques avec la mise en place des politiques agropastorale ambitieuses à même de garantir l’autosuffisance en cultures vivrières, l’élevage de bovins et ovins, etc.

Il faut dire que cette inflation galopante inquiète et menace la croissance de l’économie mondiale et particulièrement celle des pays africains fragiles en réduisant le pouvoir d’achat déjà faible des populations du continent. En plombant la consommation des ménages qui est un des principaux moteurs de la croissance des économies africaines, l’inflation va gripper davantage ces économies en mal de croissance depuis plus de deux ans sous l’effet de la crise sanitaire du Covid-19 et qui sont particulièrement impactées par la crise ukrainienne.

D’ailleurs, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, a annoncé que son institution table sur «une dégradation supplémentaire» de ses prévisions de croissance «à la fois pour 2022 et 2023», du fait que l’inflation est plus élevée que prévu. Pire, elle prévient que cette inflation pourrait «enflammer les tensions sociales» au sein des pays touchés.

Par Moussa Diop
Le 18/07/2022 à 13h47, mis à jour le 18/07/2022 à 14h53