Partout en Afrique, il y a de sérieuses craintes d’une pénurie alimentaire aiguë sous l’effet combiné d’une foultitude de facteurs dont les impacts négatifs de deux années de crise sanitaire, les sécheresses qui ont touché de nombreux pays africains et bien évidemment les impacts de la crise ukrainienne, sachant que la Russie et l’Ukraine figurent parmi les principaux greniers du monde pour de nombreux produits, notamment pour le blé dont ils pèsent 30% des échanges mondiaux de la céréale, mais aussi du maïs, du soja,…
Du coup, les craintes de pénuries de produits alimentaires de base sont prises très au sérieux par les dirigeants africains qui connaissent leur impact sur les populations déjà très affectées par les hausses généralisées des cours des produits alimentaires et qui craignent des «émeutes de la faim», comme ce fut le cas en 2008, sachant que le scénario est presque le même: pénuries, sécheresse et flambée des prix des carburants.
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Face à ces craintes, en plus des mesures prises pour atténuer l’inflation (instauration de prix plafond, suspension des taxes et/ou droits de douane à l’importation, renforcement des contrôle des prix sur les produits subventionnés et/ou règlementés,…), les autorités de nombreux pays africains ont décidé, en plus des mesures visant à atténuer l’impact de l’inflation, d’interdire les exportations de produits alimentaires, particulièrement de produits de grandes consommation dont les échanges sont très tendus au niveau du marché mondial: blé, farine, semoule, huile,…l’objectif étant de préserver leurs populations de pénuries de produits alimentaires.
Parmi les premiers pays à prendre des mesures d’interdiction d’exportation de produits alimentaires figurent le Cameroun, le Bénin, le Mali,… Au Cameroun, dès début décembre, les autorités avaient décidé d’interdire l’exportation des céréales (riz, maïs, mil, sorgho,…) de la région de l’Extrême-Nord vers les pays frontaliers, du fait de la flambée des cours de ces produits sur le marché local, dans le but de garantir l’approvisionnement des populations en denrées de première nécessité.
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C’est également le cas du Mali, qui, en plus des sanctions imposées par la Cédéao, qui ne concernent certes pas les produits de base, a décidé d’interdire les exportations de produits alimentaires. Ces interdictions concernent aussi bien les céréales locales (millet, sorgho, riz,…) que celles importées. Il s’agit de mesures souvent prises par les autorités des pays ouest-africains durant les périodes de soudures afin d’atténuer les hausses des prix. Mais, cette fois-ci, la situation est corsée par la crise qui prévaut en Ukraine et qui fait craindre des risques de pénuries alimentaires en Afrique.
D’autres pays ont suivi la tendance. C’est le cas en Afrique de l’Ouest du Mali, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire,… Ainsi, afin d’éviter des pénuries, le gouvernement ivoirien a soumis les exportations de nombreux produits dont le riz local, la banane, l’igname, le manioc, le maïs et leurs dérivés,… à l’obtention préalable d’une autorisation et ce, dans l’optique de «réserver ces produits de grande consommation au marché intérieur, en vue d’assurer un approvisionnement régulier des marchés et de stabiliser corrélativement les prix de ces produits agricoles».
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Au niveau de l’Afrique du Nord, c’est l’Égypte qui a donné le ton. Le Caire a interdit, le 10 mars dernier, l’interdiction d’expédition de plusieurs articles agricoles de base et ce, pour une période de 3 mois. Parmi les produits concernés par cette interdiction figurent le blé, le pays étant le premier producteur africain, et un exportateur de blé dur, malgré qu’il soit le premier importateur mondial de blé tendre avec un volume de 13 millions de tonnes importés en 2021.
Outre le blé, le gouvernement égyptien a interdit les exportations de la farine, des lentilles, des haricots, des pâtes,…
La Tunisie a emboité le pas à l'Egypte en interdisant, elle aussi, les exportations de produits alimentaires. Il faut dire que le pays souffre depuis des mois d’une pénurie de produits de base, notamment la farine, les pâtes, les huiles végétales, le sucre et le riz. Autant de produits subventionnés par l’Etat.
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L’Algérie aussi a suivi la tendance. Le président Abdelmadjid Tebboune «a ordonné l’interdiction d’exportation de tous les produits de consommation importés par l’Algérie». Les produits concernés par ces interdictions sont le sucre, les pâtes, l’huile, la semoule et les dérivés du blé.
Mieux, le président Tebboune a demandé au ministre de la Justice de préparer «un projet de loi incriminant l’exportation des denrées qui ne sont pas produites localement», en la qualifiant «d’un acte de sabotage de l’économie nationale».
Bref, les craintes de pénuries et de crise alimentaires qui poussent les gouvernements de nombreux pays africains à fermer leurs frontières aux exportations de produits alimentaires risquent d’aggraver la situation alimentaire de certains pays dépendants de leurs voisins pour l’approvisionnement en denrées de base, comme c’est le cas dans de nombreux pays, notamment en Afrique de l’Ouest et Centrale. A titre d’illustration, selon le Bureau de mise à niveau des entreprises (BNM) du Cameroun, environ 70% de la production de riz au Cameroun (80% de la production se concentrant dans le Nord et l’Extrême-Nord du pays) est exportée vers le Nigeria. Une situation qui pourrait contribuer à aggraver la situation alimentaire dans les régions voisines du Nigeria, sans que les agriculteurs camerounais de ces régions ne soient sûrs de pouvoir écouler, dans de meilleures conditions, leurs excédents céréaliers.
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C’est le cas aussi de la Libye qui, à cause du chaos qui prévaut dans le pays, n’a pas pris de mesures adéquates pour éviter les pénuries de produits de base (blé, farine, huile,...) à quelques jours du début du mois de Ramadan. Et, malheureusement, les trois principaux voisins du pays -Égypte, Algérie et Tunisie- ont interdit les exportations de produits alimentaires.
Du coup, le pays est à la merci des pénuries de nombreux produits alimentaires. Une situation qui a poussé la Libye à officiellement demander à la Tunisie d’être exceptée de la suspension des exportations de nombreux produits de base pour lesquels on enregistre un grand manque à quelques jours du Ramadan. Seulement, la Tunisie elle-même n’est pas mieux lotie, faisant déjà face à des pénuries de farine, pain, semoule,…